6 novembre 2012
Manuel Rozental,
fondateur du « Tissu de Communication et relations externes »
de l'Association de Cabildos Indigènes du Nord du Cauca (ACIN)
analyse l a guerre colombienne depuis la perspective des peuples
originaires.
L’Histoire de la
résistance du Peuple Nasa est une de plus parmi toutes celles qui
peuplent l'Amérique (Abya Ayala). Sa lutte, marquée par la
répression, les assassinats de leaders et les massacres, a permit la
reconnaissance de 544 000 hectares comme territoire indigène, en
plus d'avoir réussi une réforme constitutionnelle de 1991 où ont
été rédigés les Droits fondamentaux des peuples originaires.
« La première
action, fondamentale, est la résistance des peuples à chaque étape,
depuis la conquête espagnole jusqu'à maintenant. Une fois que l'on
a reconnu qui était l'agresseur, quelle stratégie il use, quels
objectifs il a, et, en prenant en compte ces éléments, le peuple se
réorganise en s'appropriant ce dont il a besoin pour résister à
l'agression. Voir, penser et agir. C'est le cadre général. Et là
s'abat cette agression du néolibéralisme, du Plan Colombie, de la
globalisation et des multinationales qui sont les bénéficiaires de
tout ceci. » raconte Manuel Rozental, médecin,
« communicateur », stratège et activiste colombien exilé
au Canada, fondateur et premier coordinateur du Tissu de
Communication et Relations Externes de l'Association de Cabildos
Indigènes du Nord du Cauca (ACIN).
Quel est le contexte
de lutte sur le territoire ? Quels sont les ressources qui sont
en jeu ?
C'est la toile de fond :
ce qui a été analysé par l'ACIN et par tous les peuples indigènes
de Colombie durant trois ans c'est qu'avant les propriétaires
terriens venaient pour créer de grandes haciendas et
exploiter la terre et les indigènes, les afro-colombiens et les
paysans. Ce qui a changé récemment c'est que maintenant la dispute
territoriale est encore pire et elle se joue avec un acteur
différent, corporatif, supranational et transnational : un
acteur externe. C'est ce qui se joue dans tout le pays. La général
Pace, à l'époque commandant du Commando Sud des États-Unis (puis
commandant pendant la Guerre d'Irak et finalement commandant de
toutes les forces des USA), a expliqué au congrès des États-Unis
qu'il y avait cinq motifs de sécurité nationale pour les
nord-américains sur le continent : l'eau, l’oxygène, le
pétrole, la biodiversité et l'activité minière. Juste après sort
le document du Plan Colombie.
Et le document relatif à
ce Plan, élaboré aux États-Unis, parle d'une occupation
territoriale dans le but d'accéder aux ressources vitales pour les
corporations transnationales et le capital que représente et sert
les États-Unis. Dans la zone Nord du Cauca il y a toutes ces
ressources, mais en plus il s'agit d'un couloir stratégique entre la
côte pacifique et les plaines orientales, et, avant tout, c'est le
cœur de la résistance populaire non-violente (ce qui ne veut pas
dire pacifique) au projet d'occupation territorial.
Qui sont ceux qui
exécutent cette politique dans le Cauca ?
Il y a deux composants.
Il y a une stratégie centrée sur le militaire, très sophistiquée
et de longue date, qui est l'intention de transformer la guerre, et
peu importe d'où elle vient, en une manière d’accéder aux
territoires stratégiques. C'est quelque chose qu'il est difficile de
comprendre depuis l'extérieur, selon la logique qui affirme qu'il y
a un camp armé des gentils, et un camp armé des méchants. Mais
toujours est-il que depuis un point de vue géostratégique, il
importe peu que la guerre vienne des insurgés ou des combinaisons de
paramilitaires ou l'armée, police et forces armées de l’État,
légaux ou illégaux, ce qui est est important c'est que le résultat
final de la guerre soit l'expulsion et la spoliation du territoire
pour accéder à ces ressources et désarmer la résistance.
C'est le point de vue
militaire. Mais le Plan Colombie combine terreur et guerre avec la
propagande et la politique publique. La Plan Colombie parle de
« Consolidation », ce qui signifie le transfert de fonds
à des programmes sociaux : santé, éducation, logement,
alimentation, marchés et contrôle des militaires. C'est la carotte
et le bâton. Le message pour la population est : au choix :
ou vous vous soumettez à ces politiques et en échange vous donnez
le territoire et le travail aux multinationales ou vous prenez des
coups de bâton. C'est à cela finalement que contribuent les
insurgés (guérilla), dans le Nord du Cauca, qui est dans le secteur
d'influence des FARC.
D'autres part on peut
voir la présence de nombreuses ONG de gauche ou de droite sur le
territoire, avec chacune son langage, mais qui viennent toutes
supplanter l’État en termes de plan sociaux, divisant au passage
les communautés ou substituant par exemple les cultures et la
projection collective pour leur bénéfice propre et finalement celui
du régime, c'est à dire, de l'accumulation de capital des
transnationales. Si les communautés n'acceptent pas, la réponse
est qu'il n'y a pas d'argent et qu'il y a la guerre. Les insurgés et
l'armée viennent occuper le territoire, avec entre 15 000 et 30 000
soldats, en plus de la police et de toutes classes de services
secrets militaires, et en même temps on voit plus de FARC que jamais
dans l'histoire du Nord du Cauca, qui transforment le territoire
ancestral et autonome en un théâtre d'opérations militaires. C'est
la même dynamique que l'on observe pour tous les peuples indigènes
du pays.
Et quelles sont les
action menées par les peuples indigènes ?
La première action,
fondamentale, est la résistance des peuples à chaque étape, depuis
la conquête espagnole jusqu'à maintenant.
Une fois que l'on comprend que le modèle économique actuel est le
problème fondamental, tout devient clair, et ce qui est clair c'est
que tous seuls nous ne pouvons rien. Jusqu'à maintenant le mouvement
indigène, et en particulier le peuple Nasa, avait lutté pour
résister et défendre son identité et sa culture. Ce qu'il continue
de faire, mais maintenant il comprend que pour le réussir, il faut
s'unir avec d'autres peuples, d'autres cultures car ce projet de
spoliation et d’ethnocide est global et l'agresseur n'est même pas
sur son territoire, mais est transnational et supra-gouvernemental.
C'est là que se prend la décision éthique et stratégique
consolidée dans un agenda qui commence par le modèle économique et
ses stratégies de terreur, de propagande et de guerre. Reconnaître
et dépasser enfin le fait que nous, les peuples de Colombie, nous
n'avons pas, nous n'avons pas pu construire d'agenda propre et que
par conséquent nous allons négocier pour obtenir quelques miettes
de notre oppresseur. En parallèle, du fait que les paramilitaires
comme la guérilla tuent les gens, en 2001 se rétablit la garde
indigène pour exercer le contrôle communautaire sur le territoire
avec des hommes, des femmes et des enfants. Avec ces deux choses
combinées nous avons pris la décision -la première en 2001 mais
la plus grande en 2004 – de créer cet agenda et de convoquer le
Premier Congrès Indigène et Populaire. La « Minga »
part de Popayan et arrivera à Cali, des montagnes jusqu'à la route
panaméricaine . Ce fut l'année du pic de popularité d'Uribe,
qui a été surpris de s'entendre dire qu'ici il n'est pas populaire
et que nous ne voulons pas de son modèle de libre commerce.
Par
Collectif Colombiens au Sud.