dimanche 20 octobre 2013

URGENT !! La parole du Tissu de communication (ACIN) bloquée alors qu'avance la terreur et la stigmatisation de la Minga

19/10/2013

Nous nous voyons dans l'obligation de donner une réponse collective et publique à ceux qui, en Colombie et dans d'autres lieu de l'Abya Yala (Amérique Latine) et d'Europe, se demandent et nous demandent (et nous réclament) nos bulletins d'information habituels, particulièrement visibles et, comme ils nous le répètent, utiles durant les mouvements et les luttes de nos peuples. Il n'y a rien de plus important pour nous que de pouvoir communiquer par le biais des bulletins électroniques, avec les dizaines de milliers d'adresses mails que nous avons collectées une par une, grâce à l'intérêt que nous témoignent les lecteurs institutionnels, organisationnels et personnels en Colombie, sur le continent et dans le monde.

Nous devons autant à notre peuple et à ses luttes qu'au réseau de ceux et celles avec qui nous nous communiquons depuis des années. C'est notre raison d'être. Nous n'avons pas de ressources économiques mais nous avons pu maintenir ces listes et notre communication active grâce au soutien de rise-up, qui les administre justement parce que son mandat et son engagement a été d'être présent et de soutenir la communication populaire pour la résistance et les droits des peuples. C'est avec angoisse et en espérant pouvoir débloquer la situation le plus rapidement possible que nous vous annonçons, lecteurs et lectrices, que les listes de distribution rise-up du Tissu de Communication ont été bloquées depuis le 4 octobre dernier.

Ces derniers mois, nous avons eu des difficultés avec l'envoi de nos bulletins, le dernier que nous avons réussi à envoyer, ayant pour titre « La parole des peuples n'a pas de prix », a été reçu deux jours après avoir été envoyé. Plus tard, sans pourtant être une entreprise, afin de nous mettre en conformité avec la Loi Hábeas Data, nous avons envoyé deux messages pour demander à nos contacts s'ils désiraient toujours recevoir nos bulletins ou non, mais ceux-ci ne sont jamais arrivés. Dans la foulée nous avons envoyé le bulletin informatif « Nous nous soulevons en Minga pour ne pas continuer d'être ce que nous n'avons jamais été » (en français ici), qui n'est pas arrivé non plus.

Malheureusement, ce blocage de nos listes Rise-up a non seulement empêché le Tissu de Communication de faire circuler les bulletins d'information par lesquels nous dénonçons les agressions du gouvernement, allié des multinationales ; nous diffusons les revendications des organisations indigènes ; nous rendons visible la parole des communautés ; mais a aussi empêché la réalisation des analyses, les réflexions critiques et propositions que nous construisons par l'éthique communautaire qui nous caractérise en tant que Tisseuses et Tisseurs pour la Vie et la Vérité. Le moyen de communication le plus fort et le plus efficace que compte le mouvement indigène, en pleine attaque nationale et mortelle de l'Etat colombien contre la Minga, dont le travail a été de rompre la muraille informative des médias commerciaux au service de la répression et de la spoliation, est aujourd'hui complètement hors d'usage puisque nous nous pouvons plus accéder à nos listes mail, pour des raisons que nous ignorons et que nous ne pouvons résoudre sans le soutien solidaire et respectueux à nos luttes et nos mandats.
Nous sommes interpellé-e-s par le fait que, alors même qu'il a été appelé à renforcer la Minga Sociale et Communautaire contre le projet de mort, avec une mobilisation nationale large, qui se construit depuis des années, nos listes mail qui contiennent plus de 80 000 adresses de toute l'Amérique Latine se retrouvent bloquées. Des contacts de personnes, collectifs, organisations et de beaucoup d'autres « noeuds » de communication qui sont prêts à nous aider pour traduire, publier, circuler, débattre et promouvoir la parole libre qui naît de nos territoires, dans le but d'empêcher qu'ils nous massacrent et nous méprisent.

Face au blocage de l'information, le Tissu de Communication lance un appel aux mouvements, collectifs et médias de communication indigènes, populaires, alternatifs, entre autres, pour qu'ils prennent connaissance de notre situation, se solidarisent et nous aident à mener notre enquête pour savoir pourquoi, justement durant les périodes critiques, notre parole est réduite au silence. Nous avons tenté de différentes manières, sans succès, de rentrer en contact avec rise-up. Sans exagération aucune, nous leur avons expliqué que, en grande partie, la vie de nombreux et nombreuses compañer@s mobilisé-e-s, la Minga et la résistance elle-même dépendent du déblocage immédiat de ces listes mails.

Nous remercions d'avance ceux et celles qui sont s'engagent pour une autre communication, qui ne se fient pas à ce qu'ils/elles voient dans les médias de masse et qui remettent en question la propagande qui leur est faite. Nous vous remercions d'être attentifs aux informations publiées sur notre site web www.nasaacin.org, d'écouter notre bulletin informatif Kueta Susuksa (radio par internet) et pour la visite des autres sites des organisations indigènes du pays, qui diffusent l'information dans le cadre de cette Minga. Nous tenons à féliciter les médias alliés pour leur travail de communication tout en leur rappelant le besoin de travailler en collectif pour la défense de la communication libre, car si un seul de ces médias est réduit au silence ou exclu, c'est nous toutes et tous qu'ils réduisent au silence. Faire taire le Tissu de communication et, en particulier les bulletins du Tissu, c'est réduire au silence le média qui a le plus de portée et de couverture pour faire connaître la Minga, la résistance, l'agression du régime et le sens du partage de notre lutte.

Nous ne nous sommes pas tus. Pendant que nous insistons pour rentrer en contact avec rise-up et nous élargissons notre travail dédié à la radio (Radio Pa'Yumat), nous vous invitons à nous chercher aussi sur Facebook pour que vous puissiez lire, écouter et voir la diversité des paroles et des actions qui se tissent dans le cadre des mobilisations en marche dans les différents endroits de Abya Yala. Peut-être que parmi ceux et celles qui nous connaissent et nous lisent il y a des personnes qui sont en contact avec les compañer@s de rise-up et peuvent nous permettre de réutiliser les listes le plus vite possible. Peut-être qu'en rendant publiques les voix de ceux et celles qui nous écrivent pour nous demander nos bulletins électroniques, nous pouvons résoudre collectivement ce blocage de notre parole. Rien ne peut plus servir le régime, la spoliation et la mort de nos peuples que le blocage de nous boîtes mail et de nos bulletins informatifs.

Nous vous remercions pour l'intérêt manifesté et nous continuons de porter notre parole pour la mettre en marche en Minga, malgré ceux qui veulent nous réduire au silence quelques soient leurs motifs.

En toute sincérité,


Tissu de Communication ACIN 

mercredi 16 octobre 2013

Nous nous soulevons en Minga pour ne pas continuer d'être ce que nous n'avons jamais été

Octobre 2013

Quand nos ancêtres ont découvert les espagnols, l'Amérique n'existait pas encore. Le 12 octobre n'existait pas et 1492 non plus. Aujourd'hui, alors que nous continuons de découvrir peu à peu les stratégies qu'ils utilisent pour imposer leur projet de Mort, nous, les communautés et les peuples, nous nous soulevons, en parole et en actes dans nos territoires, pour dire aux conquistadors que nous ne voulons pas de Traités de Libre Commerce (TLC), que nous n'acceptons pas le pillage de notre Terre Mère et que nous n'allons pas continuer à recevoir vos miroirs1. Notre lutte continuera son chemin pour la défense et la construction de la vie, du territoire et de la paix dont nous rêvons, depuis la base et entre les peuples.

A tous et toutes les agents au service de ce projet de Mort, d'où qu'ils viennent, nous leur rappelons que notre Terre Mère n'est pas une marchandise. Elle n'est pas en vente. Elle n'a pas de prix. Notre conscience malgré les difficultés et contradictions continue de croître, continue de résister et veut se tisser aux autres luttes et alternatives qui, dans chaque coin de Abya Yala (Amérique Latine), construisent une parole et des actions dignes de fils et filles de la Terre Mère. Notre temps n'est pas et ne sera jamais celui de la spoliation et du mépris mais celui des rythmes de la vie. Nous allons pousser à ce que l'autonomie n'existe pas seulement dans notre discours, faire en sorte qu'elle ne soit pas une mascarade, une parole vide ou un prétexte, pour que la création et la défense des autonomies soit une pratique concrète qui nous permette de vivre dignement et en liberté.

Nous n'allons donc pas seulement prolonger la mobilisation contre le modèle économique de l'extractivisme et du soit-disant « libre » commerce ; la terreur et la guerre qui nous extermine et nous déplace ; la législation de dépossession qui veut nous soumettre, nous allons également continuer à construire notre société-autre et exercer depuis la base notre contrôle territorial face à tout acteur armé ou fléau qui dés-harmonise notre territoire. Nous l'avons fait, malgré les contradictions et les difficultés. Actuellement, nous pouvons donner des exemples dans nos Resguardos, en particulier à Toribío, Canoas, Munchique, Jambaló, entre autres. Les communautés de base continuent de dire Non à la militarisation de nos lieux sacrés ; Non au mauvais usage de la plante sacrée et au narcotrafic ; Non à la guerre et aux acteurs armés ; Non à l'exploitation minière ; Non à la privatisation des biens communs ; Non aux décisions autoritaires sans consultation. Une avalanche de Non à tout ce qui menace l'autonomie et consolide la conquête, d'où qu'elle vienne.

Pour toute cette douleur qui nous rend malade dans nos territoires, conséquence de la perpétuation de la conquête, nous allons nous mobiliser. Nous allons continuer de prôner l'autonomie depuis la base. Nous allons marcher pour dénoncer tout ce qui dés-harmonise notre relation avec la Terre Mère et le risque imminent que courent nos Plans de Vie avec l'implantation du modèle minéro-énergétique. Nous allons marcher car la douleur du paysan, de l'afro, du métisse, de l'urbain est la nôtre. Nous allons nous mobiliser car la douleur de la Terre Mère est nôtre et si elle meurt, nous aussi nous nous éteindrons avec elle. Nous allons manifester car c'est la vie qui est en danger.

Danger annoncé et dénoncé durant des dizaines d'années par les communautés et les peuples décidés à affronter avec une conscience convertie en chemin à suivre. Chemin et conscience qui ont été formulés, entre autres, lors de la Consultation Populaire face aux Traités de Libre Commerce (TLC) avec les États-Unis réalisée en mars 2005, et depuis la Minga (2004-2008). A cette occasion, des routes ont été tracées pour transformer un pays de maîtres et sans peuple en un pays des peuples sans maître, avec une plate-forme politique de 5 points élaborés à partir de la douleur, la parole et l'expérience des communautés, conscientes de cette nouvelle imposition de la Conquête, masquée par l'euphémisme de « libre commerce ». Les communautés nous ont alerté avec clairvoyance du risque imminent pour la vie toute entière et pour la Terre Mère. Un programme de résistance et d'alternative au libre commerce que des milliers de villageois et villageoises ont porté dans et depuis leurs territoires, parcourant le pays lors de la Minga de Résistance Sociale et Communautaire de 2008, qui, en fin de compte, n'a pas pu être ignorée et dont la graine a été semée dans la terre fertile de la résistance.

Les années obscures et difficiles de la confusion et de l'oubli apparent continuent avec, comme toujours, son lot de persécution, manipulation des arguments, mensonges, convoitises, autoritarismes, contrôle par les dénonciations de ceux qui osent - ou ont osé – exiger la défense des espaces de débat et de réflexion critiques et ouverts dans la communauté qui permettent de passer au dessus du pouvoir et que la vérité tissée de manière communautaire soit toujours présente. Nous avons sentis et nous sentons encore la douleur de la dépossession et de l'abandon du chemin pour la vie, remplacé par le froid calcul de l'intérêt particulier qui se sert de tous, manipule et pénètre tout ; et même nos processus d'organisation.

Nous continuons et nous avons continué en sachant que la graine de la Minga face au « libre commerce » et à la Mort, devait être protégée. Mais on aurait dit qu'il n'y avait pas de terre fertile pour la sauver. Nous avons donc été remplis de joie lorsque des milliers de paysans et paysannes de divers secteurs de l'agriculture ont paralysé le pays, justement soulevés contre le modèle économique et son soit-disant libre commerce.

La graine rencontrait un terrain fertile dans les mains de gardiens habitués à travailler la terre, produire des fruits et des aliments et, en conséquence, souffrir de la spoliation de la conquête définitive aux mains de l'extractivisme. Dans la diversité et la dispersion, ce sont justement les semences qui les ont fait se soulever et se mobiliser dignement lors de la Grève Nationale Agraire. La parole de la Terre Mère, la même qui nous avait amené à réaliser la Minga, se convertit aussi pour la paysannerie en programme de résistance à la Conquête du « libre commerce ». C'est la défense de la vie, l'appel de Mama Kiwe (Terre Mère), l'origine et le destin de notre lutte. Ainsi, notre lutte commune, cette Minga, n'a pas de maîtres ni d'autorités, et ne doit pas en avoir. Ainsi, se soulever en Minga c'est obligatoirement refuser ceux qui ont prétendu commander, d'où qu'ils viennent. L'autorité c'est la vie elle-même et la Terre Mère, mobilisées à travers les peuples en résistance qui la reconnaissent encore et la respectent.

Comme nous l'avons dit depuis des dizaines d'années, nous savons aussi que ce dont nous avons besoin n'existe pas encore et que nous n'avons pas encore de mots pour le définir : cependant ce quelque chose se trouve dans les territoires et dans leurs offrandes de biens communs, comme l'eau, sans lesquelles il n'est pas possible de vivre. Cependant nous savons aussi que ce système, ce projet de mort comme nous avons appris à le reconnaître et à le nommer pour lui résister, est en crise et pour dépasser cette crise il doit nous déposséder de nos territoires – physiques ou imaginaires -, de nos volontés autonomes et collectives, nous recruter, nous éliminer et extraire le sang et la vie de notre Terre Mère pour alimenter son insatiable cupidité. Pour les conquistadors et leurs complices les peuples sont de trop, ils menacent donc nos consciences et éliminent la vie. Leur accumulation capitaliste ne peut plus s'arrêter. C'est pour cela qu'il est urgent non seulement de comprendre ce projet de mort pour y résister, de construire des alternatives et de se mobiliser pour tisser entre peuples, mais aussi retrouver le chemin d'un autre monde, possible et nécessaire, dépasser les confusions avec lesquelles ils nous achètent et nous trompent pour qu'on se rende.

« Ne pas se vendre, ne pas se rendre et ne pas se laisser tromper » sont les leçons pratiques de ceux qui ne tombent jamais dans le piège que nous tendent les mauvais gouvernements et leurs complices, d'où qu'ils viennent. Il est nécessaire de rappeler que lorsque nous n'avons pas d'agendas propres, nôtres, ceux qui nous les imposent nous soumettent. De la même manière, si ce n'est pas notre agenda qui nous mobilise, nous obéissons aveuglement, trompés, aux intérêts de ceux qui nous évincent pour que nous soyons les victimes, les héros, les morts et les blessés utiles à leurs projets. Pour que notre parole chemine nous devons l'élaborer collectivement, avec autonomie et depuis la base. C'est l'unique manière de nous défaire d'eux, ceux qui nous volent et nous utilisent, d'où qu'ils viennent.


C'est en ce sens que nous pensons que les mobilisations et actions directes que nous menons pour défendre la vie et le territoire, ne doivent pas être utilisées par quelques-uns, uniquement pour atteindre les résultats qu'ils promettent d'obtenir lors de négociations avec le mauvais gouvernement, tout en évinçant nos décisions et positions collectives. Car, finalement, nous ne luttons pas pour qu'ils nous donnent un espace dans le projet de mort ni des postes au sein des mauvais gouvernements, mais pour que nos plans de vie et nos bons gouvernements les remplacent pour toujours.

Lors de cette mobilisation, durant le mois que l'occident a baptisé de la « découverte », nous réaffirmons qu'octobre est le mois qui nous rappelle à la mémoire les millions d'indigènes exterminés et les milliers de cultures enterrées, le souvenir du début du génocide, la conquête et la spoliation de notre Abya Yala. C'est pour cela que nous ne fêtons rien. Nous nous soulevons pour nous continuer de nous opposer à la conquête qui se perpétue avec de nouvelles stratégies, plus sophistiquées et plus perverses pour nous dominer et nous coopter. Nous nous mobilisons pour crier au monde que nous avons résisté pendant plus de 520 ans et que nous sommes le futur et la vie. Nous allons continuer à marcher en défense de la vie et de la Terre Mère.

Nous commémorons un futur nécessaire qui est tissé avec tous les êtres de la vie depuis toujours et nous le faisons en marquant notre temps. Pour cela, nous avons nommé une date impossible, qui n'a jamais existé et ne pouvait être : le 11 octobre 1492. Impossible car jusqu'à ce jour l'Amérique n'existait pas, et le calendrier du spoliateur avec son temps pour nous conquérir non plus. De la même façon qu'il y a eu un avant qui n'est jamais rentré dans le calendrier de la Conquête, aujourd'hui nous nommons sans parole « l'après » qui nous soulève, un temps qui viendra et qui est toujours resté dans nos cœurs. Le temps de la vie et de la liberté de ceux de la base, de ceux qui sont près de la terre. Sans nous rendre, ni nous vendre, ni nous laisser tromper : nous retournons à la Grande Maison de la Terre Mère.

Tissu de Communication – ACIN.

1 En référence aux miroirs que les conquistadors ont « troqué » contre des lingots d'or aux indigènes. Stratégie que continuent d'appliquer les gouvernements actuels en distribuant des miettes pour acheter la paix sociale (note de la traductrice). 

samedi 27 juillet 2013

Résistance au Catatumbo, une lutte historique pour une vie digne

 [ce texte n'est pas écrit par le Tissu de communication mais par un de ses étudiants de l'école de communication organisée par celui-ci, qui fait maintenant partie de la Mochila Ambulante]
Je vous transmet un texte écrit il y a une quinzaine de jours par la Mochila Ambulante, média alternatif colombien, qui explique le soulèvement des paysans du Catatumbo, région de Colombie. Les paysans du Catatumbo subissent en ce moment une répression sans pitié, qui a fait plusieurs morts et de nombreux blessés, de la part d'un Etat qui refuse tout dialogue avec les paysans et paysannes.
Bonne lecture, merci de diffuser.


Résistance au Catatumbo, une lutte historique pour une vie digne

Depuis quelques semaines un nom peu connu hante les médias de communication et les couloirs des institutions gouvernementales et des organismes internationaux. Il s'agit du Catatumbo, une région de Colombie, au Nord-Est, dans le Nord du département de Santander, où naît la rivière qui porte son nom, qui court tout au long des montagnes de la cordillère orientale colombienne et débouche sur le lac de Maracaibo, au Vénézuela.

On dit que l'origine du mot catatumbo proviendrait de la langue Catatumbari qui signifie Lumière Constante du Ciel, ou, selon une autre version, du nom d'un arbre y qui pousse, le Catatú. Quelle est l'importance de ce territoire ? Pourquoi a t-il été le centre des débats du pays ces derniers mois ?

La réponse est claire, même si elle n'est pas simple. Les paysans de ces montagnes mènent une grève avec blocus des routes depuis presque un mois. Ils se sont mobilisés par désespérance, à cause de la faim, à cause de la stigmatisation et de la violence qui leur est affligée depuis plus de 50 ans, quand des centaines de colons-paysans provenant des régions voisines et des autres zones du pays sont arrivés dans ces montagnes et forêts chaudes.

Cependant, ces terres sont exploitées depuis bien avant. Durant la première invasion européenne, les Bari, peuples originaires de cette zone, ont mené une dure résistance contre les espagnols, résistance qui a duré presque deux siècles, jusqu'à ce que l'invasion idéologique et mentale réussisse à les enfermer dans centres coloniaux où ils furent évangélisés. Ce qui a eu pour résultat la destruction à petit feu de leur tissu social, décimant leur population et mettant en péril leurs traditions culturelles.

Toutefois, durant le Xxème siècle, le Catatumbo a été violemment envahi. Le Général Rafael Reyes, président de Colombie, concéda au Général Virgilio Barco Martinez les terres du Catatumbo, celles étant supposément des « Friches nationales », une figure juridique appelée plus tard la « Concession Barco ». Mais cette concession ne s'est pas faite avec des fleurs et des cadeaux... ou peut-être quelques-uns... Ils ont offert des bombes et des balles aux indigènes Barí qui résistaient avec leurs flèches et leurs dards, pendant que les habitants et les communautés étaient bombardés et mitraillés par les avions du « progrès ».

Puis, les explorations pétrolières ont commencé, avec elles l'exploitation du pétrole brut et l'enfer pour les habitants du Catatumbo. A ce jour, 83 ans ont passé sans que soit améliorée la vie des catatumberos et catatumberas.

Avec l'exploitation pétrolière est arrivée la colonisation, et des centaines de familles paysannes ont commencé à défricher la forêt, à monter leurs fermes et établir leur vie dans ces montagnes et forêts. C'est de cette manière que la population paysanne commence à s'implanter dans la zone, laboure la terre, cultive la Yuca (sorte de manioc), les bananes légumes, maïs et fruits qui leur suffisent à peine pour survivre, car malgré les grandes richesses que l'on trouve sur ce territoire, ses habitants n'ont rien vu d'autre que la pollution et l'ignorance de l’État et des entreprises d'exploitation.

Dans les années 80 les mouvements insurgés se sont installés dans la région, historiquement en lien avec les zones de colonisation et les économies déclarées illégales par l'ordre en place. Présence qui s'enracine dans les montagnes et les forêts du Catatumbo, à travers les guérillas des FARC, de l'ELN, en plus d'une dissidence de l'EPL, selon les dires, démobilisée aux débuts des années 90.

Par celles-ci, les cultures de coca se sont généralisés, surtout sur les communes montagneuses, où cette plante est largement cultivée et de laquelle vivent des milliers de paysans, car les productions de cultures vivrières et d'autres produits agricoles sont difficilement commercialisées étant donné que les prix des produits sont décidés par un intermédiaire ou commerçant, profitant du fait que les routes et l'infrastructure en général de la zone sont réellement précaires. Une preuve de plus que l'exploitation par les multinationales et les grandes entreprises capitalistes n'amène rien d'autre que la pauvreté aux habitants des terres exploitées et richesse et « prospérité » pour les propriétaires terriens et industriels.

Des dizaines d'années d'exploitation n'ont laissé que pauvreté et violence pour les habitants. Dans cette région les rivières et l'eau abondent mais n'est pas potable car elle est pollué par l'exploitation pétrolière, à ceci s'ajoute la contamination et la désertification de la terre que génère l'agro-business de la monoculture de Palme (pour l'huile) qui s'est implantée suite aux massacres et incursions paramilitaires des années 90 et 2000.

Car ces durant ces années-là qu'est arrivée la terreur démesurée et la tronçonneuse néolibérale qui veut s'approprier et expulser les paysans du Catatumbo, pour permettre l'entrée des monocultures de palme. Monocultures qui ont principalement bénéficié à Carlos Murgas, Ministre de l'agriculture de Pastraña qui s'est enrichi avec les terres qu'ont habité autrefois plus de 11 milles paysans assassinés lors de plus de 60 massacres et d'assassinats sélectifs, en plus des centaines de milliers de déplacés qui ont dû fuir de leurs parcelles, terrorisés par les sévices et la cruauté avec laquelle ils furent dépossédés de leurs terres pour que s'installe le grand capital. Toute cette vague de violence et d'expropriation a commencé à la fin des années 90, quand le Bloc Catatumbo des Autodéfenses Unies de Colombie-AUC (paramilitaires) est entrée dans la région sous les ordres de Salvatore Mancuso, lequel a admis et raconté, en version libre, les crimes sus-mentionnés.

C'est précisément après l'installation du paramilitarisme au Catatumbo que la foire aux terres pas chères a commencé et que le business agro-industriel a commencé à se développer de manière vertigineuse. La vieille stratégie du capitalisme, de génération de richesse par l'expropriation de tiers, la fameuse accumulation par dépossession, ouvrait un nouveau chapitre au Catatumbo.

Mais ceci n'est pas un cas isolé. Dû à l'action de groupes paramilitaires, particulièrement dans le Nord et l'est du pays, les monocultures se sont étendues, créant une espèce de ceinture composée principalement par la palme qui va depuis l'Uraba jusqu'à l'ouest et jusqu'au Catatumbo, sur la frontière avec le Vénézuela , en passant par le Magdalena Medio, les Monts de Maria et le Sud de Bolivar, lieux qui ont été particulièrement affectés par la violence contre les mouvements sociaux et les paysans, qui a ouvert la porte à l'instauration des monocultures, entre autres, d'un bout à l'autre du pays.

La grève

Comme en 1985, 1986, 1996 et 1998, les paysans ont recommencé à s'organiser, à hausser la voix et à se manifester par des actions directes après des dizaines d'années d'abandon étatique. Encore une fois, la seule manière d'être écouté a été le blocage des routes et la grève. Plus de 13 miles paysans se sont mobilisés sur deux endroits dans le Nord de Santander, Ocaña et Tibú. Le premier endroit : une commune par laquelle passe l'unique route jusqu'à la côte caraïbe, et le second : un des endroits les plus proches de la République Bolivarienne du Vénézuela.

Les premiers jours du blocage, des routes d'accès et de sortie de ces communes ont été bloquées par les paysans, qui exigent la déclaration de la Zone de Réserve Paysanne du Catatumbo, la détention immédiate et indéfinie des éradications forcées et violentes des cultures de coca par les forces publiques et un investissement social adapté à la région, en plus de l'arrêt de la stigmatisation, persécution et emprisonnement des paysans qui cultivent et récoltent les feuilles de coca.

Des millions d'hommes et de femmes se sont mis en marche et maintiennent les routes bloquées dans cette partie du pays, ce sont pour la majorité des jeunes orphelins de la guerre attisée par les groupes armés de la région, en particulier des victimes des dizaines de massacres et des milliers d'assassinats et de disparitions causés par le paramilitarisme, qui a permis au grand capital de se faire sa place dans ce coin du pays.

Les paysans ont trouvé une voie de communication et d'action politique, il s'agit de ASCAMCAT, l'association paysanne du Catatumbo, qui regroupe de manière organisée les 200 hameaux des 7 communes qui composent le territoire du Catatumbo (El Tarra, San Calixto, Tibú, Hacarí. Teorama, El Carmen y Convención). ASCAMCAT est née en 2005 « en tant que proposition associative de reconstruction du tissu social dans l'idée de générer des conditions de vie dignes pour les Catatumberos, qui se sont regroupés de nouveau pour la défense permanente du territoire ; le respect des communautés indigènes, des anciens, des enfants et l'éradication des acteurs sociaux-économiques qui ont généré la culture de coca ; la défense des ressources naturelles et la protection de l'environnement ; la récupération de nos traditions culturelles, la participation à la prise de décisions qui sont en jeu dans les campagnes, le respect à la vie et en général la défense des droits fondamentaux des habitants du Catatumbo »1. ASCAMCAT s'est fondée pour canaliser la lutte pour la terre et pour que les paysans et paysannes restent sur leur territoire, dans le Catatumbo.

Ce fut un processus de formation dur et complexe, étant donné qu'après l'assaut des paramilitaires le tissu social de la paysannerie de la région, comme dans beaucoup de régions du pays, a été pratiquement détruit, la peur et l'inaction politique et sociale se sont converties en dominateur commun des campagnes colombiennes, et même de beaucoup de villes.

Après la « démobilisation » des groupes paramilitaires du Catatumbo en 2004, la violence a diminué et a permit aux paysans de se réorganiser. Cependant, de nombreuses terres où se trouvaient leurs fermes sont maintenant d'immenses plantations de palme, des milliers d'hectares, jusqu'à l'horizon, comme des lignes de soldats, pareils à ceux qui massacrèrent la paysannerie du Catatumbo durant des années.

La palme africaine est apparue comme le fer de lance des nouveaux commerces des classes dominantes des différentes régions du pays, et le Catatumbo n'y a pas échappé. Des milliers d'hectares que les paramilitaires ont arraché aux paysans dans le sang, par le feu, la torture, les tronçonneuses de la mort et les fours crématoires, dans l'unique but de remplir les poches des « gens bien », « entrepreneurs » et qui fait de ce pays la « Colombie de la passion ».

Comment a commencé la grève ? Suite à l'assaut militaire appelé « Plan de Consolidation » , les paysans se sont convertis en cibles pour les forces armées, qui les voient comme des délinquants et des « terroristes » parce qu’ils cultivent la coca, travaillent et vivent de celle-ci. Ce qui a généré - dans le contexte des éradications forcées et violentes réalisées par la force publique, comme l'arrosage au glyphosate et éradication manuelle - des arrestations de paysans sous prétexte de narcotrafic et dans le cadre de la Loi 30, charges auxquelles s'ajoutent les montages juridique pour les accuser de rébellion.
Mais ceci n'est qu'un prétexte pour expulser les paysans de leurs terres et dépeupler le Catatumbo pour ouvrir la voie aux industries minières du gouvernement Santos, étant donné qu'en plus d'être un territoire où a été exploité pendant plus de 80 ans le pétrole, qui n'a provoqué rien que la misère, l'industrie minière à grande échelle est en train de s'implanter, en particulier le charbon, car selon ce qui se dit, il s'y trouve des réserves pour créer une mine encore plus grande que celle du Cerrejón. C'est à dire la possibilité de creuser un énorme trou qui pollue les alentours et tue toute forme de vie mais qui remplie de milliers de millions les poches des « entrepreneurs » colombiens et étrangers pro « croissance économique » et « développement » du pays.

La campagne sans paysan est l'objectif du capitalisme national et transnational, ce qui motive la guerre qui sévit depuis tant de temps sur ce territoire. C'est aussi ce qui légitime la grève et la lutte de la paysannerie. Et d'ailleurs beaucoup seront contrariés de voir tant de jeunes qui bloquent les routes, brûlent des pneus, jettent des pierres et se battent à coups de bâtons contre la police anti-émeute ESMAD.

Les habitants de ces terres sont depuis un mois en grève et réclament seulement un traitement digne, en tant qu'habitants d'un territoire qui peut apporter énormément à la société, mais à condition que l'on respecte leur culture, leurs formes d'être et d'exister. Cependant, le gouvernement colombien considère ces territoires seulement comme des réserves de richesses pour enrichir les patrons qui font croître l'économie du pays (selon eux), et le peuple comme un obstacle pour développer à toute vitesse les projets et commerces qu'ils ont en vue au Catatumbo. C'est la raison pour laquelle ils traitent de manière criminelle et militaire les paysans, qui font l'objet de menaces, persécutions et arrestations. Les paysans du Catatumbo sont stigmatisés parce qu'ils cultivent la coca, mais l’État ne leur donne rien, et sa présence se fait uniquement à travers les armes et la violence qui fait des paysans des sans-terres et des taulards.

Les paysans se sont donc soulevés, car leurs besoins passent en premier et les obligent à se manifester comme ils peuvent. Mais leur mouvement n'est pas une coquille vide : au début un panel de 10 exigences a été revendiqué, ce qui aujourd'hui a été regroupé en quatre éléments clés pour les paysans.

En premier lieu, la constitution de la Zone de Réserves Paysannes (ZRC) du Catatumbo. Cette figure territoriale est encadrée par la loi 160 de 1994, qui établit la création des dites zones pour l'endiguement des « latifundios » et la stabilisation de la colonisation paysanne et de la frontière agraire, c'est à dire freiner l'expansion de celle-ci dans les territoires protégés comme les Parcs Naturels et les Réserves Forestières et garantir l'accès à la terre pour les paysans pauvres et exclus qui, dans beaucoup de régions du pays, sont ces mêmes colons qui ont été déplacés par la violence qui s'est perpétuée pendant des dizaines d'années contre la paysannerie colombienne.

Le deuxième point est la mise en marche et le financement adéquat du Plan de Développement Durable de la ZRC du Catatumbo. Document qui a été produit par les paysans et même financé par le Gouvernement par l'intermédiaire de l'Institut Colombien du Développement Rural INCODER. Avec ce plan, les paysans ont exprimé leur situation sociale, économique et politique, et, sur cette base, ont construit leurs projets de vie sur les territoires qu'ils ont travaillés et habité durant des générations, dans le but de garantir une vie digne à leurs enfants et petits-enfants dans le futur.

Le troisième point concerne l'éradication des cultures de coca. Les paysans exigent que le gouvernement subventionne d'un montant de 1500 000 pesos mensuels, durant deux ans, les familles qui ont été affectées par les politiques qui ont permit l'envahissement de leurs parcelles par les pesticides, les laissant, entre autres, sans production vivrière, et générant une crise alimentaire, la criminalisation, persécution et emprisonnement de nombreux paysans, qui sont accusés de narcotrafic et de rébellion.

Toute cette politique est encadrée par le fameux Plan de Consolidation. Pour le Catatumbo, une des sept zones stratégiques pour l'exploitation des ressources naturelles au service du grand capital, tout est définit dans le document CONPES 3906 qui établit la politique et la route de financement du plan en question. Celui-ci a deux composantes fondamentales : la militaire qui est centrée sur l'augmentation de la présence militaire et policière dans la région, avec la construction de nouvelles bases, avec des militaires américains en provenance d'Irak et d’Afghanistan pour conseillers, afin d'intensifier la guerre dans la région et contrôler les territoires qui feront l'objet d'exploitations minero-énergétiques, d'implantation de monocultures et la construction d'infrastructures dirigées par l'Armée Nationale de Colombie. De fait, il existerait des réserves de charbon et d'autres minéraux dans le Catatumbo, qui permettraient l'exploitation d'une mine à ciel ouvert, plus grande et productive que le Cerrejón. Tout ceci s'accompagne d'une composante sociale qui sera aussi exécutée par les Force Armées et comprend la construction de méga-collèges, de centres culturels et sportifs, de télécommunications et de routes.

Enfin, comme les problèmes du Catatumbo ne concernent pas seulement les paysans, mais aussi la population en général, les besoins des habitants de la zone urbaine de Tibú, dont les conditions de vie sont aussi complexes, font également partie des revendications. Il est proposé de prioriser certains projets dans différents secteurs comme les infrastructures, la santé et l'éducation. Cette proposition inclue la construction d'un hôpital de niveau 3, la mise en service, le goudronnage et l'agrandissement des routes d'accès à Tibú par La Gabarra.

Tout ceci est exposé dans le brouillon de l'accord proposé par le mouvement paysan du Catatumbo. Toutefois le Gouvernement, à travers ses vice-ministres et hauts conseillers, ont fait la sourde oreille durant un mois aux exigences de la paysannerie, répondant par la violence et les balles aux manifestants ; stigmatisant et persécutant les portes-paroles de la paysannerie. Causant la mort de quatre paysans assassinés par la Force Publique dans la commune d'Ocaña, et la persécution médiatique et politique, qui cherche à délégitimer la lutte et à envoyer en prison les leaders de la mobilisation, en particulier le compagnon César Jeréz, porte parole des paysans et membre de l'ANZORC, Association Nationale des Zones de Réserves Paysannes, qu'ils ont accusé sans preuve ni justification aucune de guérillero. Mettant en cause sa légitimité en tant que porte-parole parce qu'il est professionnel de géologie et qu'il a étudié dans l'ex Union Soviétique, et mis sa formation et connaissances au service de ceux qui le nécessitait le plus.

La guerre politique est attisée et maintenue par l'ordre établit qui n'accepte pas d'autres formes d'être et de vivre, différentes de celles imposées par le capitalisme au niveau global, et c'est pour cette raison que ceux qui s'opposent à sa dictature font l'objet de persécution et d'emprisonnement. Il est temps d'accompagner le peuple du Catatumbo qui depuis des années a été exclu et réprimé. Il est temps de revendiquer les droits des paysans qui réclament juste vivre en paix dans des conditions dignes, et une justice sociale.

La Mochila Ambulante
J-10 Tibú, Nord de Santander. 12 juillet 2013


1Plan de développement Durable pour la Constitution de la Zone de Réserve Paysanne du Catatumbo.

jeudi 13 juin 2013

La sagesse collective nous est nécessaire pour revitaliser nos Plans de Vie

Depuis très longtemps, si longtemps, que nous pouvons dire depuis toujours, nous, les Nasa, nous avons affronté l'offensive du conflit armé, de la spoliation de nos territoires, autant par la force publique et les paramilitaires, que par la guérilla. Nous savons que ce conflit ce n'est pas seulement un échange de balles, lors duquel tombent nos villageois. Nous savons que nos territoires et le processus de résistance et de transformation que nous créons sont des éléments stratégiques pour ceux qui pénètrent nos communautés et l'ensemble de nos espaces, pour satisfaire leurs commerces et intérêts, du narcotrafic et ses couloirs contrôlés par les acteurs armés, jusqu'aux étendues dénudées dont se servent les entreprises minières que l’État escorte avec ses forces de l'ordre. Par ailleurs, lorsque l'insurrection armée et les armées privées, même si elles se situent à des points opposés du spectre idéologique, sèment la terreur, lorsqu'elles déplacent les populations par leurs actions violentes, elles permettent l'arrivée de l'industrie de l'exploitation à grande échelle des minéraux, l'imposition de monocultures et de projets de méga-infrastructures, qui facilitent la sortie et la commercialisation des « ressources » naturelles qui pour nous sont des biens communs : elles sont la vie, notre Terre Mère, Mama Kiwe. 


Cette situation d'exception, d'infiltration et d'occupation physique, mentale et culturelle permanente, affecte de manière notoire les Plans de Vie [les projets et rêves qui nous guident] de la Cxhab Wala kiwe ACIN (Territoire du Grand Peuple, Association de Cabildos Indigènes du Nord du Cauca), et génère de nombreux problèmes que vivent actuellement nos communautés. Un de ceux-ci est l'intensification du conflit armé, chaque jour plus sanglant, qui écrase les communautés innocentes au milieu des combats entre les différents acteurs armés. Ainsi, la communauté, qui a réclamé de manière constante de ne pas être impliquée dans la guerre, finit par être victime des deux camps, avec des dizaines de villageois non seulement blessés, mais également assassinés, déplacés et continuellement effrayés.

Ces jours-ci, précisément, de nombreux affrontements armés ont eu lieu dans différents Resguardos indigènes comme Cerro Tijeras, Huellas Caloto, Toribío et Jambaló, provoquant la mort, la panique et de profonds traumatismes psychologiques dans la communauté. Un conflit armé qui s'impose avec ses bombes, ses tirs, ses menaces et autres faits de dés-harmonisation qui obligent les communautés à suspendre leurs activités quotidiennes, comme la récolte du café, les travaux agricoles ou encore fermer les écoles des zones en question.

D'autre part, le fléau de l'industrie minière continue de pénétrer nos territoires. D'une part, à travers l'action de l’État qui vend les terres en concession aux transnationales, et d'autre part, par l'accès de ces dernières aux gisements qui les intéressent par le biais des petites et moyennes entreprises minières. Certaines initiatives d'extraction minière des transnationales sont reconnues comme légales et d'autres sont désignées comme illégales dans la nouvelle guerre pour les territoires, qui vient s'ajouter à la guerre contre le narcotrafic et le terrorisme, mais toutes ces initiatives extractives, à petite et grande échelle, produisent des dommages environnementaux. Pour finalement livrer l'or aux multinationales qui en font une marchandise et accumulent des millions au prix de la destruction progressive de notre territoire et de notre organisation.

Au sein des Resguardos, des villageois et villageoises ont commencé à « laver » l'or dans les rivières et à creuser au pied des collines sacrées, à la recherche du métal précieux, jusqu'aux endroits où naissent les sources d'eau. Certains parce qu'ils n'ont réellement rien, parce qu'ils vivent dans la misère et le font pour survenir aux besoins de leurs familles. D'autres, parce qu'ils y voient l'opportunité d'obtenir des ressources économiques pour accumuler des richesses. Ceux-ci, en majorité, finissent par exploiter d'autres villageois qui se trouvent dans le besoin, et génèrent ainsi une désintégration sociale et culturelle à travers la violence et la consommation d'alcool, principalement chez les jeunes.

L'activité minière provoque des divisions et ne permet pas l'application des principes de l'organisation et des Plans de Vie, qui ont toujours défendu le respect et l'attention à notre Terre Mère. Situation dont certains profitent pour détruire notre processus politique d'organisation, pour renforcer ces divisions, dans le but de rompre l'unité du mouvement indigène et sa résistance au modèle d'extraction et de spoliation.

Ainsi, le conflit armé et l'activité minière, main dans la main, se développent contre nos communautés. Et pendant ce temps, les Dialogues de Paix entre le Gouvernement et la guérilla des FARC continuent. Tout ceci est inquiétant, surtout quand ceux qui sont réunis à La Havane prétendent donner une espérance de paix au pays, alors que la réalité de notre territoire est tout autre, ce que peu de médias de masse disent. Car, malgré la guerre, nos communautés indigènes, depuis la base, construisent des propositions autonomes de paix dans le cadre des Plans de Vie, comme alternative aux Projets de Mort qui convertissent notre Terre Mère en marchandise, via des Traités de « libre échange » et d’innombrables stratégies de domination.

C'est dans ce contexte que les autorités indigènes de la Cxhab Wala Kiwe-ACIN, ont réalisé une Grande Minga de Réflexion du 3 au 5 juin 2013, dans le Resguardo Indigène de Canoas, pour laquelle elles convoquèrent les communautés à « évaluer les avancées, les difficultés et l'accomplissement des mandats décidés en congrès zonaux » ainsi qu'à « analyser les faiblesses internes et chercher les sorties possibles pour continuer de parcourir le chemin de la recherche d'un territoire autonome et d'un gouvernement propre. ».

L'expression de la communauté lors de la Minga de Réflexion

Lors de cette Minga, les participants et participantes ont exprimé leurs opinions sur différents thèmes comme le Plan Culturel Territorial [plan de restructuration de l'organisation], les Territoires Ancestraux Autonomes, la proposition électorale de « Pays Commun » [candidature indigène de Feliciano Valencia à la présidence], la Minga Sociale et Communautaire [pour la solidarité et l'union avec les autres processus populaires de base], les Tissus de Vie de l'ACIN [éléments structurels de l'organisation], entre autres. Il est important de signaler que dès le début de la Minga, la communauté a manifesté de grandes inquiétudes ainsi que le besoin urgent d'apporter un regard autocritique sur les communautés et l'organisation. En effet, au sein des onze tulpas (commissions), les villageoises et villageois du Nord du Cauca ont fait remarquer, comme de coutume, de grandes faiblesses dans le processus d'organisation, mais en même temps, ils ont apporté des propositions pour les résoudre de manière communautaire.

La communauté a manifesté que face à l'agression intégrale, nous pensions avoir avoir atteint une unité, cohérence et sagesse pour l'affronter. Mais apparemment, la menace la plus grave actuellement est plus que jamais la fracture de notre unité, le manque de participation active de la communauté, l'affaiblissement de l'organisation et la fermeture, et on pourrait dire la quasi-disparition, des espaces collectifs de dialogue, de débat et de réflexion.

On peut citer quelques-uns des nombreuses positions qui sont apparues en ce sens : « Nous, les peuples indigènes, nous parlons de Territoires Ancestraux et Autonomes, mais en analysant le fond du problème, l'autonomie, ils nous l'ont arraché. Ils nous ont rendu dépendants. Même les aliments que nous consommons viennent en grande partie de l'extérieur » ; « le Plan Culturel Territorial doit aller au rythme du processus, parce que c'est la communauté qui est la plus légitime pour restructurer et réorienter l'organisation ». « En interne, la candidature présidentielle [à travers le parti politique Pays Commun] n'a pas été consultée et les gens ne connaissent même pas le nouveau parti Pays Commun ». Ces voix reflètent certaines des principales inquiétudes et critiques formulées par les villageois et les villageoises concernant le mouvement indigène et l'organisation. Cependant, des propositions pour y répondre ont aussi été faites : reprendre les visites territoriales, participer aux travaux communautaires, ouvrir la discussion et le débat nécessaires pour aborder toutes ces thématiques avec les gens de la base. C'est à dire renforcer le chemin de la « parole digne » avec et depuis la communauté. Écouter de nouveau les communautés pour que les décisions soient prises par la base, en cohérence avec les mandats fondamentaux définis par l'organisation : l'autorité maximale est la communauté, à partir de là les autorités traditionnelles, comme chez les Zapatistes, et depuis toujours pour le Peuple Nasa, « dirigent en obéissant ».

Rappelons que pour les communautés indigènes il est très important de travailler en Minga, penser, décider et agir de manière collective, même si le système nous impose diverses stratégies pour nous diviser. Nous ne pouvons pas tomber dans ce piège, mais si certains et certaines d'entre nous pensent déjà de la manière dont nous l'impose le système, nous devons nous harmoniser et nous conscientiser pour continuer l'accompagnement nécessaire à la communauté sur le chemin de la défense de la vie et du territoire. C'est un travail collectif, des communautés, mais qui requiert la harmonie entre les autorités et la base, pour que la parole divulguée soit débattue de manière communautaire, à partir des différentes opinions, perspectives et idées. Parole que nous devons défendre parce que c'est elle qui nous permet de survivre.

Quant à la Minga Sociale et Communautaire, les villageoises et villageois ont déclaré qu'elle a été un espace important et qu'un suivi doit être réalisé, car l'articulation avec les autres processus sociaux et populaires est fondamentale. Mais avant tout, il est urgent de faire le ménage dans notre propre maison, pour permettre l'harmonie et pouvoir tisser des relations avec les autres peuples. Concernant la gouvernance autonome, il y a eu de grandes avancées, mais il y a encore de grandes faiblesses internes à dépasser. Par exemple, en ce qui concerne nos systèmes de santé et d'éducation, même s'il y a eu des améliorations, il est nécessaire de commencer par la récupération de ce qui nous est propre, en partant de notre territoire, et répondre ainsi aux besoins réels des communautés tout en évitant la dépendance que nous impose le Gouvernement. Il faut être conscients que la santé et l'éducation du système ne nous servent pas, au contraire elles nous rendent malades. Nous devons renforcer la médecine ancestrale, la sagesse des médecins traditionnels et penser à une véritable éducation en relation avec la Terre Mère.

Pour ce qui est du contrôle territorial, les participant-e-s ont réaffirmé que la Garde Indigène est l'axe fondamentale de cet exercice communautaire. Il s'agit d'une des forces que détient l'organisation pour défendre la Vie et le territoire, et c'est pour cette raison que nous devons la soutenir et l'accompagner dans tous les domaines. Le contrôle territorial soit aussi être renforcé par les sites d'assemblées permanentes, où la communauté se rassemble pour éviter d'être déplacée par le conflit armé.
Quant à l'économie et l’environnement, la priorité qui se fait le plus sentir est la récupération de la souveraineté alimentaire, du troc et du respect de la Terre Mère, comme nous l'on apprit nos ancêtres, en continuant à légiférer via notre Droit particulier pour vivre en équilibre avec celle-ci.

D'autre part, concernant la communication, il a été proposé que les autorités et les différents Tissus de Vie s'approprient cet outil afin de mieux toucher les communautés ; utiliser plus fréquemment le Nasa Yuwe (langue Nasa) pour mieux communiquer entre nous ; amplifier la couverture des radios communautaires ; rendre plus visible le processus de l'organisation sur le site web ; et construire une stratégie communicative pour faire face à la désinformation, aux tromperies et à la propagande des radios de l'armée. Le mandat de la communication est la défense de la parole collective.

Nous résumons ici brièvement et nous reprenons l'essence de la parole que la communauté est venue semer lors de la Minga de Réflexion, espace d'analyse et de réflexion promut par l'ACIN afin d'écouter les bases communautaires. Espace qui continuera ce vendredi 14 juin dans le Resguardo Indigène de Huellas Caloto. Malgré une participation loin d'être massive, comme lors des années précédentes, ce qui reflète sûrement la perte de la capacité à convoquer et à intéresser - ce qui vaudrait la peine d' être examiné - les représentantes et représentants des communautés qui sont venus ont semé une parole, afin que dans chaque espace de l'organisation nous puissions l'alimenter et la protéger, par notre engagement communautaire.

« Visiter chaque famille, que toutes les personnes qui font partie de l'ACIN fassent cet accompagnement pour discuter avec les gens et connaître ce qu'ils pensent de l'organisation. Car il y a plus de confiance quand on va directement jusqu'aux maisons, et la communauté aime bien qu'on lui fasse des visites ». Il s'agit d'un appel à récupérer ces espaces, pour que la parole exprimée dans l'inquiétude et l'espérance germe, et se convertisse en sagesse collective dont toutes et tous nous avons besoin pour assumer nos faiblesses et construire des alternatives qui permettent de les dépasser en communauté. C'est notre parole, celle des peuples sans maître et elle reprend à peine le chemin de notre longue résistance. Nous appelons de manière urgente et respectueuse à reprendre à partir de cette Minga la parole de la communauté, pour la divulguer et, avec elle, revitaliser nos Plans de Vie par la sagesse collective. 

Tissu de Communication et de Relations Extérieures pour la Vie et la Vérité  - ACIN

dimanche 7 avril 2013

Le conflit armé et l'exploitation minière vus de l'intérieur

publié le 6 avril  2013


Le Nord du Cauca est, depuis de nombreuses années, un territoire géo-stratégique que les groupes armés se disputent pour imposer leur politique guerrière aux groupes ethniques, habitants de ces terres fertiles pourvues de grandes richesses naturelles comme l'eau, la biodiversité et les différents métaux que l'on trouve dans ses sous-sol.

Au milieu des multiples combats réalisés par les guérillas et les forces militaires de l'ordre établi, en tant que communautés indigènes, habitantes de ce territoire, nous avons réussi à résister à la soumission armée et idéologique. Ceci grâce à la conscience politique des communautés qui ont choisi de développer leur Plan de Vie dans l'espoir de défendre leurs territoires ancestraux, espaces où se tissent les pensées collectives.

Les années passent et, au fil des assemblées, des congrès et des forums communautaires, nous nous sommes rendus compte que ces disputes territoriales obéissent à des intérêts économiques externes qui ont considéré notre Grande Maison (le territoire) comme un lieu idéal pour faire leurs investissements économiques dans l'objectif d'augmenter leurs profits au prix de la destruction de la Terre Mère, comme on peut le voir dans tout le pays. Un des exemples les plus connus et ignorés par le gouvernement colombien se trouve dans le département du Huila, avec la construction du barrage du Quimbo, où les communautés ont manifesté leur mécontentement depuis longtemps, et où, malgré tout, la réponse du gouvernement a été la répression par l'armée au service des multinationales.

Un autre cas exemplaire de lutte organisée est la bataille livrée par les paysans de Hidroituango dans le département d'Antioquia, où l'Entreprise de Services Publics de Medellin est venue avec la proposition d'un soit-disant développement grâce au barrage Hidroituango. Ces communautés ont manifesté leur opposition, mais le gouvernement départemental et national n'a rien fait d'autre que réprimer le peuple qui réclame justement ses droits.

Il se passe la même chose avec l'exploitation de l'Or dans divers départements colombiens, comme la Colosa à Cajamarca Tolima, le Cerrejon dans la Guajira et d’innombrables mines à grande échelle qui se cachent derrière la réforme du Code Minier qui ouvre la porte aux compagnies étrangères et réprime par la force publique les mineurs artisanaux qui cherchent à nourrir quotidiennement leurs enfants.

Devant ces inquiétudes, en 2009, les autorités environnementales de l'Association de Cabildos du Nord du Cauca (ACIN) ont réalisé la Première Minga Territoriale Économico-environnementale , dans le but d'alerter les communautés sur cette problématique qui était en train de se développer à ce moment là dans les territoires indigènes. Lors de cette importante mobilisation, un des invités en tant qu'intervenant fut le chercheur Cesar Padilla de l'Observatoire des Conflits Miniers en Amérique Latine, qui a mis l'accent sur la problématique minière dans certains pays comme le Guatemala, la Bolivie, le Pérou, entre autres. Celui-ci s'est exprimé exactement en ces termes : « l'activité minière n'apporte pas aux économies locales. Au contraire, elle appauvrie les communautés car les minéraux s'épuisent pour toujours alors même que les déchets toxiques perdurent de nombreuses années et causent de graves maladies à la population qui habite ces terres, et ce n'est pas vrai que l'activité minière génère des revenus pour le pays. Qu'est qui se passe au niveau du passif environnemental ? C'est le pays ou les communautés qui paient les dommages écologiques. »

« Le problème c'est que, particulièrement en Amérique Latine, il s'est généré un processus impulsé par le mythe du développement, c'est à dire que si nous avons des ressources minérales nous devons les exploiter, car nous ne pouvons mendier en étant assis sur un sac d'or, et que nous devons être riches, et pour l'être nous devons exploiter les mines. On sait déjà que ça ne marche pas comme ça. Mais on bourre le crâne des gens et des politiciens avec ça, car tout politicien a une mentalité extractiviste, c'est à dire, qu'il faut exploiter nos ressources et peu importe à qui ça porte préjudice. »

Padilla nous fait part de sa réflexion, et ajoute : « Nous pouvons vivre sans Or ; mais nous ne pouvons pas vivre sans eau et les communautés qui manquent d'eau, c'est sans doute parce qu'elle débordent de mines. »

D'autre part, malgré la conscientisation qui se fait dans les différents espaces de débat face à l'activité minière, certains membres des communautés de Canoas, Munchique los Tigres et sur les rives des rivières de Toribio, Jambalo et Caloto, ont montré que les besoins des gens ont été plus forts que leur propre conscience, car, malgré les différents débats et actions pour reboucher les galeries creusées pour l'exploitation minière, les résultats attendus n'ont pas aboutis puisque certaines personnes continuent à détruire la Terre Mère .

Face à cette situation et afin de remuer les consciences au niveau local, national et international, le Tissu de Communication, et en particulier sa composante audiovisuelle, a achevé, au début de l'année 2013, une production documentaire intitulée « Et ils viennent encore prendre l'Or ». Travail audiovisuel qui raconte la problématique minière dans le Nord du Cauca, la militarisation du territoire et les multiples stratégies que cherche le gouvernement par le biais de réformes pour continuer d'implanter son soit-disant « développement ».

Cette situation et bien d'autres qui se présentent tous les jours dans notre pays nous montrent que la seule lutte juste est celle des différents secteurs sociaux du pays, qui ont élevé la voix en protestation face à l'acharnement du gouvernement national.

D'autre part, nous sommes conscients que le processus de paix n'est pas aussi bon que ce que veut nous montrer le gouvernement via les médias de masse. Car pendant que celui-ci parle de paix, nous, les communautés afro-colombiennes, paysannes et indigènes nous vivons le contraire. Ils continuent de nous tuer, et le prouve ce qui s'est passé dernièrement à Caldono, où le gouvernement national a assassiné un indigène.

Il est aussi clair que le gouvernement n'est pas intéressé par une paix réelle, et on ne peut que déplorer que, pensant au post-conflit, après les négociations de La Havane à Cuba, il ait attribué des ressources publiques d'une valeur de 18 billions de pesos colombiens pour renforcer la présence militaire. Tout cela nous laisse pensifs, s'il y a la paix, pourquoi autant d'investissement dans l'armée ? Ainsi ce n'est pas si sûr que se soit la paix qui soit en train d'être négociée, et, au contraire, on voit bien qu'ils sont en train de se partager le pays pour continuer la guerre contre ceux qui s'opposent aux politiques qui nous privent de notre souveraineté et convertissent les territoires en marchandise destinée à l'exportation.

C'est pourquoi, nous, les peuples indigènes, nous savons que la paix sera une réalité quand il y aura plus d'investissements dans la santé, l'éducation, le logement, et quand ils arrêteront de privatiser les services publics. De la même manière, la paix sera un succès quand notre territoire sera libéré de l'activité minière, de la militarisation et des Traités de Libre Commerce. Sans cela la société apercevra seulement la paix dans les discours vagues de ceux qui veulent embrouiller le peuple par la propagande.

Ce qui est sûr c'est que si nous les laissons creuser des mines dans notre territoire, nous allons avoir « du pain pour aujourd'hui et la faim pour demain », comme l'ont exprimé les membres de la communauté qui s'opposent à ces projets de Mort.


Tissu de communication de l'association de Cabildos Indigènes du Nord du Cauca - Colombie

lundi 11 mars 2013

Le défi des producteurs de café en grève : souveraineté alimentaire ou libre-commerce


 6 mars 2013
 http://www.nasaacin.org/noticias/3-newsflash/5462-desafio-desde-el-paro-cafetero-soberania-o-libre-comercio

Durant onze jours, les producteurs et productrices de café du pays ont réussi à paralyser plusieurs routes, portant des revendications ponctuelles pour améliorer leurs conditions de travail. Et, alors qu'ils réussissaient péniblement à discuter et négocier le premier point de leurs revendications qui portait sur l'augmentation du prix du café, il est clairement apparu que le problème de fond est le modèle économique établit par les Traités de Libre Commerce (TLC). La grève des producteurs et productrices de café commencée le 25 février, s'est terminée à l'aube du 8 mars, après être arrivés à un accord lors des négociations avec le gouvernement. « Un consensus entre le Gouvernement et les producteurs de café a permit de fixer un plafond de 700 000 pesos colombiens [299 euros] par charge de café [125 kilos], un plancher de 480 000 pesos colombiens [205 euros], et une subvention de 145 000 pesos colombiens [62 euros] pour les producteurs. » annonce El Espectador en première page. 


Une incitation qui ne sera valable que cette année - alors même qu'un prix rémunérateur et stable du grain était exigé - et qui ne pourra être versée que sur présentation d'une carte d'identité ou carte de producteur de café, ou par le biais d'un compte d'épargne ou d'un chèque de la Banque Agraire de Colombie. Par ailleurs, le gouvernement a également accordé un soutien aux producteurs de cacao et aux transporteurs.

Des subventions qui coûteront 800 000 millions de pesos [environ 341 800 000 euros] au budget de l’État pour les producteurs de café, et 38 000 millions [environ 16 230 000 euros] pour les producteurs de cacao. Sans aucun doute celles-ci sont urgentes pour soulager les pertes de ces cultivateurs mais que va t-il se passer si ces subventions deviennent permanentes, non seulement pour les producteurs de café et de cacao mais aussi pour les autres secteurs de production du pays ? Un incertitude que cette grève a mis en évidence et qui montre que le problème de fond n'est pas les subventions mais le modèle de « libre commerce » qui permet l'entrée de produits moins chers grâce à des subventions et des avantages garantis aux multinationales. Il est clair qu'il n'y a pas de présent ni de futur, ni de paix possible sous ce modèle.

Ce problème de fond, nous le dénonçons depuis des années. Comme nous l'avons fermement dénoncé lors de la Minga (marche) de Résistance Sociale et Communautaire, dont la première des revendications, fondamentale, était le refus de ce modèle économique qui, par l'imposition des TLC, allait signer la mort de l'agriculture et de toute la production nationale. Aujourd'hui nous ne sommes plus les seuls à l'affirmer, même les patrons le reconnaissent. « La grève des producteurs de café a démontré à la Colombie la nécessité d'établir un modèle économique logique, libre d'idéologies et de domination étrangères, capable de récupérer l'emploi et la souveraineté de sa monnaie et de ses frontières. Si cela réussi, la grève aura été justifiée. » a affirmé Emilio Sardi, homme d'affaire de Valle del Cauca.

Un « Libre commerce » que les paysans, les indigènes, les afro-colombiens et métisses mobilisés sur les routes ont dénoncé une fois de plus, du fait de ses conséquences qui affectent profondément les territoires. « Avec l'implantation des Traités de Libre Commerce, le gouvernement ne peut plus subventionner les agriculteurs » manifeste un conseiller de l'Association de Cabildos Indigènes du Nord du Cauca (ACIN). Interdiction clairement faite pour éviter que les produits nationaux soient compétitifs face à tous ceux qui arrivent moins chers grâce aux subventions d'autres gouvernements et multinationales. Dora Guetio, membre du Resguardo de Cerro Tijeras, affirme que la grève était aussi le moyen d'exiger la sortie des multinationales minières du territoire, car « l'extraction de l'or nous apporte de l'argent pour un temps, mais nous laisse sans eau. Et qui peut vivre sans eau ? C'est pour cela que nous voulons que les mines soient fermées, pas seulement dans les zones de production de café, mais dans tous les territoires où la vie est mise en péril. » Des territoires comme Cerro Tijeras, où le conflit armé est constant et où l'agression des communautés est incessante. Justement parce qu'il y a de l'or et que la communauté s'oppose de manière consciente à son extraction, ce qui gène considérablement le gouvernement et les multinationales.

Lors de la grève des producteurs de café, et comme dans toutes les manifestations de refus des politiques néolibérales du gouvernement et contre la législation de spoliation, la répression est la première réponse. Un paysan assassiné et près de 70 blessés, c'est le douloureux prix à payer pour les producteurs et productrices pour obtenir une subvention du café. Car les autres exigences n'ont même pas été abordées, au contraire, des groupes de négociation ont été instaurés pour chaque point des revendications, avec, à chaque fois, des entités différentes du gouvernement. Exactement comme cela s'est passé avec le Mouvement Indigène et avec tous les secteurs sociaux qui se sont mobilisés pour exiger des changements structurels.

D'autre part, les menaces de Santos n'ont pas tardé. Un jour avant la levée des blocus, Santos a affirmé qu'il n'enverrait pas l'armée pour débloquer les routes, afin d'éviter un massacre. Mais « si les blocus se prolongent nous serons obligés d'envoyer les forces de l’État. » Le message a été clair. L'a été aussi la répression exercée par l'ESMAD (équivalent des CRS en France), qui, durant la grève, dans la débandade, a lancé des bombes assourdissantes qui ont déchiqueté les mains de deux paysans. Pour nous tous il est clair que les menaces, la répression, ainsi que la terreur et la guerre, sont des instruments de soumission, pour nous déplacer de manière forcée et nous exproprier.

Mais nous savons aussi que le problème n'est pas Santos ni Uribe, ni la marionnette en place qui nous gouverne, c'est le régime qu'ils servent. C'est le modèle de « libre commerce » que ceux-ci, comme tous les gouvernants de cette planète terre, doivent mettre en place pour le compte des corporations multinationales. Et c'est pour cela même, que, nous, les peuples de Colombie, nous défendons notre dignité et, de manière consciente, nous continuerons de proclamer des changements structurels tout en construisant des alternatives qui permettent la naissance d'un autre modèle qui privilégie la Terre Mère et la vie toute entière. Et pas le modèle économique qui nous tue et nous transforme en marchandise.

Ce même modèle est coupable de l'assassinat de Sabino Romero, leader indigène Yukpa du Vénézuela, qui a lutté sans repos pour récupérer les territoires en faveur des peuples. Indigène sage et courageux qui ne s'est jamais vendu mais a dénoncé ceux qui eux, se sont vendus. Il a dénoncé la persécution exercée par les paramilitaires colombiens sur les éleveurs vénézueliens, celle des transnationales et celle du gouvernement vénézuélien lui-même. Il fut prisonnier politique dans les prisons bolivariennes, et il s'est retrouvé seul. Ils l'ont tué, mais il ne s'est jamais convertit en marchandise. Son héritage nous pose un défi, car les véritables révolutionnaires ne sont pas ceux qui répètent une rhétorique et s'unissent au système politique, mais ceux qui défendent dans la pratique la dignité, la vie et la Terre Mère avec humilité. La spoliation, d'où qu'elle vienne, est leur fait. C'est pour cela que nous nous languissons que Sabino se convertisse en Parole et en Chemin.

Cette même semaine, la gauche du monde entier a perdu un de ses plus reconnu leader en Amérique Latine : Hugo Chavez Frias est mort. Celui qui a gouverné le Vénézuela en faveur des classes populaires, mais qui a eu des « hauts et des bas, tant dans l'opinion des classes moyennes que dans celle des classes populaires... du fait de problèmes structurels que le processus révolutionnaire n'a pas encore réussi à résoudre, comme l'insécurité et la corruption dans l'appareil d’État, la pénurie de certains aliments, le manque de démocratie interne dans le PSUV et, de paire, la verticalité dans la prise de décisions » explique Aligi Molina, membre de En Lutte.

Quelle qu'elle soit, c'est une perte que tous ceux qui diffusons une parole digne depuis nos territoires, nous regrettons profondément, car Hugo Chavez Frias, sans aucun doute, a marqué le début de notre réveil en tant que peuples. Une perte qui, pour des gens comme Stephen Harper, Premier Ministre canadien, est presque une célébration, comme le souligne le journal The Canadian Progressive. Harper comme Obama ont exprimé leur engagement vis-à-vis du Vénézuela pour construire un futur meilleur « basé sur les principes de liberté, démocratie, légalité et respect des Droits de l'Homme ». Courageux engagement de ces agents des transnationales qui prétendent « garantir la sécurité nationale de leurs pays », en s'appropriant les biens communs comme l'eau, l'énergie, l’oxygène, la biodiversité et les mines, exactement comme il y a quelques années en arrière, le Général Pace, commandant du Commando Sud des Etats-Unis, l'avait manifesté devant son Congrès.

Les faits nous montrent de grands défis structurels que nous devons relever en exigeant et en construisant des résistances et alternatives en tant que peuples, depuis les territoires que nous revendiquons. Car comme nous l'avons dit plus haut, les subventions sont aujourd'hui une nécessité concrète et urgente, qui vont aussi être exigées par d'autres secteurs comme « les producteurs de riz, de bananes, et ramasseurs de canne à sucre qui ont annoncé leur intention de réaliser une nouvelle grève », ainsi que tous les secteurs mis en péril par le « libre commerce ». C'est de plus en plus urgent : le problème est le modèle économique des transnationales qui, avec le libre commerce, envahissent les marchés en imposant l'entrée de produits subventionnés qui sont en train d'en finir avec la production nationale. Donc, ce que nous devons changer c'est ce modèle, en finir avec le libre commerce, afin d’apercevoir le visage de la souveraineté alimentaire qu'aucun gouvernement nous a présenté.

Nous pensons qu'il n'est pas possible de faire une manifestation ou une grève pour chaque produit, car c'est toute l'agriculture qui est en train d'agoniser et ce sont les traités de « libre commerce » les causes de la crise actuelle. Ainsi, nous proposons une fois de plus, comme nous l'avons réitéré en 2008, de marcher ensemble et de faire une grande « Minga » avec des revendications communes et un agenda commun qui recouvrent tous les mouvements sociaux et populaires, contre le modèle économique du libre commerce ; la terreur et la guerre ; et les lois spoliatrices. Une mobilisation qui nous permette d'exiger au gouvernement nos droits et l'effectivité des accords passés avec les peuples. Une Minga qui nous aide à résister et à tisser ensemble des alternatives de vie et un agenda propre, différente de celui imposée par la Conquête qui, 520 ans après, continue de nous tuer et avec nous notre Terre Mère.

C'est de nouveau notre heure de vérité en tant que peuples.

Tissu de communication de l'Association de Cabildos Indigènes du Nord du Cauca – Colombie.