lundi 11 mars 2013

Le défi des producteurs de café en grève : souveraineté alimentaire ou libre-commerce


 6 mars 2013
 http://www.nasaacin.org/noticias/3-newsflash/5462-desafio-desde-el-paro-cafetero-soberania-o-libre-comercio

Durant onze jours, les producteurs et productrices de café du pays ont réussi à paralyser plusieurs routes, portant des revendications ponctuelles pour améliorer leurs conditions de travail. Et, alors qu'ils réussissaient péniblement à discuter et négocier le premier point de leurs revendications qui portait sur l'augmentation du prix du café, il est clairement apparu que le problème de fond est le modèle économique établit par les Traités de Libre Commerce (TLC). La grève des producteurs et productrices de café commencée le 25 février, s'est terminée à l'aube du 8 mars, après être arrivés à un accord lors des négociations avec le gouvernement. « Un consensus entre le Gouvernement et les producteurs de café a permit de fixer un plafond de 700 000 pesos colombiens [299 euros] par charge de café [125 kilos], un plancher de 480 000 pesos colombiens [205 euros], et une subvention de 145 000 pesos colombiens [62 euros] pour les producteurs. » annonce El Espectador en première page. 


Une incitation qui ne sera valable que cette année - alors même qu'un prix rémunérateur et stable du grain était exigé - et qui ne pourra être versée que sur présentation d'une carte d'identité ou carte de producteur de café, ou par le biais d'un compte d'épargne ou d'un chèque de la Banque Agraire de Colombie. Par ailleurs, le gouvernement a également accordé un soutien aux producteurs de cacao et aux transporteurs.

Des subventions qui coûteront 800 000 millions de pesos [environ 341 800 000 euros] au budget de l’État pour les producteurs de café, et 38 000 millions [environ 16 230 000 euros] pour les producteurs de cacao. Sans aucun doute celles-ci sont urgentes pour soulager les pertes de ces cultivateurs mais que va t-il se passer si ces subventions deviennent permanentes, non seulement pour les producteurs de café et de cacao mais aussi pour les autres secteurs de production du pays ? Un incertitude que cette grève a mis en évidence et qui montre que le problème de fond n'est pas les subventions mais le modèle de « libre commerce » qui permet l'entrée de produits moins chers grâce à des subventions et des avantages garantis aux multinationales. Il est clair qu'il n'y a pas de présent ni de futur, ni de paix possible sous ce modèle.

Ce problème de fond, nous le dénonçons depuis des années. Comme nous l'avons fermement dénoncé lors de la Minga (marche) de Résistance Sociale et Communautaire, dont la première des revendications, fondamentale, était le refus de ce modèle économique qui, par l'imposition des TLC, allait signer la mort de l'agriculture et de toute la production nationale. Aujourd'hui nous ne sommes plus les seuls à l'affirmer, même les patrons le reconnaissent. « La grève des producteurs de café a démontré à la Colombie la nécessité d'établir un modèle économique logique, libre d'idéologies et de domination étrangères, capable de récupérer l'emploi et la souveraineté de sa monnaie et de ses frontières. Si cela réussi, la grève aura été justifiée. » a affirmé Emilio Sardi, homme d'affaire de Valle del Cauca.

Un « Libre commerce » que les paysans, les indigènes, les afro-colombiens et métisses mobilisés sur les routes ont dénoncé une fois de plus, du fait de ses conséquences qui affectent profondément les territoires. « Avec l'implantation des Traités de Libre Commerce, le gouvernement ne peut plus subventionner les agriculteurs » manifeste un conseiller de l'Association de Cabildos Indigènes du Nord du Cauca (ACIN). Interdiction clairement faite pour éviter que les produits nationaux soient compétitifs face à tous ceux qui arrivent moins chers grâce aux subventions d'autres gouvernements et multinationales. Dora Guetio, membre du Resguardo de Cerro Tijeras, affirme que la grève était aussi le moyen d'exiger la sortie des multinationales minières du territoire, car « l'extraction de l'or nous apporte de l'argent pour un temps, mais nous laisse sans eau. Et qui peut vivre sans eau ? C'est pour cela que nous voulons que les mines soient fermées, pas seulement dans les zones de production de café, mais dans tous les territoires où la vie est mise en péril. » Des territoires comme Cerro Tijeras, où le conflit armé est constant et où l'agression des communautés est incessante. Justement parce qu'il y a de l'or et que la communauté s'oppose de manière consciente à son extraction, ce qui gène considérablement le gouvernement et les multinationales.

Lors de la grève des producteurs de café, et comme dans toutes les manifestations de refus des politiques néolibérales du gouvernement et contre la législation de spoliation, la répression est la première réponse. Un paysan assassiné et près de 70 blessés, c'est le douloureux prix à payer pour les producteurs et productrices pour obtenir une subvention du café. Car les autres exigences n'ont même pas été abordées, au contraire, des groupes de négociation ont été instaurés pour chaque point des revendications, avec, à chaque fois, des entités différentes du gouvernement. Exactement comme cela s'est passé avec le Mouvement Indigène et avec tous les secteurs sociaux qui se sont mobilisés pour exiger des changements structurels.

D'autre part, les menaces de Santos n'ont pas tardé. Un jour avant la levée des blocus, Santos a affirmé qu'il n'enverrait pas l'armée pour débloquer les routes, afin d'éviter un massacre. Mais « si les blocus se prolongent nous serons obligés d'envoyer les forces de l’État. » Le message a été clair. L'a été aussi la répression exercée par l'ESMAD (équivalent des CRS en France), qui, durant la grève, dans la débandade, a lancé des bombes assourdissantes qui ont déchiqueté les mains de deux paysans. Pour nous tous il est clair que les menaces, la répression, ainsi que la terreur et la guerre, sont des instruments de soumission, pour nous déplacer de manière forcée et nous exproprier.

Mais nous savons aussi que le problème n'est pas Santos ni Uribe, ni la marionnette en place qui nous gouverne, c'est le régime qu'ils servent. C'est le modèle de « libre commerce » que ceux-ci, comme tous les gouvernants de cette planète terre, doivent mettre en place pour le compte des corporations multinationales. Et c'est pour cela même, que, nous, les peuples de Colombie, nous défendons notre dignité et, de manière consciente, nous continuerons de proclamer des changements structurels tout en construisant des alternatives qui permettent la naissance d'un autre modèle qui privilégie la Terre Mère et la vie toute entière. Et pas le modèle économique qui nous tue et nous transforme en marchandise.

Ce même modèle est coupable de l'assassinat de Sabino Romero, leader indigène Yukpa du Vénézuela, qui a lutté sans repos pour récupérer les territoires en faveur des peuples. Indigène sage et courageux qui ne s'est jamais vendu mais a dénoncé ceux qui eux, se sont vendus. Il a dénoncé la persécution exercée par les paramilitaires colombiens sur les éleveurs vénézueliens, celle des transnationales et celle du gouvernement vénézuélien lui-même. Il fut prisonnier politique dans les prisons bolivariennes, et il s'est retrouvé seul. Ils l'ont tué, mais il ne s'est jamais convertit en marchandise. Son héritage nous pose un défi, car les véritables révolutionnaires ne sont pas ceux qui répètent une rhétorique et s'unissent au système politique, mais ceux qui défendent dans la pratique la dignité, la vie et la Terre Mère avec humilité. La spoliation, d'où qu'elle vienne, est leur fait. C'est pour cela que nous nous languissons que Sabino se convertisse en Parole et en Chemin.

Cette même semaine, la gauche du monde entier a perdu un de ses plus reconnu leader en Amérique Latine : Hugo Chavez Frias est mort. Celui qui a gouverné le Vénézuela en faveur des classes populaires, mais qui a eu des « hauts et des bas, tant dans l'opinion des classes moyennes que dans celle des classes populaires... du fait de problèmes structurels que le processus révolutionnaire n'a pas encore réussi à résoudre, comme l'insécurité et la corruption dans l'appareil d’État, la pénurie de certains aliments, le manque de démocratie interne dans le PSUV et, de paire, la verticalité dans la prise de décisions » explique Aligi Molina, membre de En Lutte.

Quelle qu'elle soit, c'est une perte que tous ceux qui diffusons une parole digne depuis nos territoires, nous regrettons profondément, car Hugo Chavez Frias, sans aucun doute, a marqué le début de notre réveil en tant que peuples. Une perte qui, pour des gens comme Stephen Harper, Premier Ministre canadien, est presque une célébration, comme le souligne le journal The Canadian Progressive. Harper comme Obama ont exprimé leur engagement vis-à-vis du Vénézuela pour construire un futur meilleur « basé sur les principes de liberté, démocratie, légalité et respect des Droits de l'Homme ». Courageux engagement de ces agents des transnationales qui prétendent « garantir la sécurité nationale de leurs pays », en s'appropriant les biens communs comme l'eau, l'énergie, l’oxygène, la biodiversité et les mines, exactement comme il y a quelques années en arrière, le Général Pace, commandant du Commando Sud des Etats-Unis, l'avait manifesté devant son Congrès.

Les faits nous montrent de grands défis structurels que nous devons relever en exigeant et en construisant des résistances et alternatives en tant que peuples, depuis les territoires que nous revendiquons. Car comme nous l'avons dit plus haut, les subventions sont aujourd'hui une nécessité concrète et urgente, qui vont aussi être exigées par d'autres secteurs comme « les producteurs de riz, de bananes, et ramasseurs de canne à sucre qui ont annoncé leur intention de réaliser une nouvelle grève », ainsi que tous les secteurs mis en péril par le « libre commerce ». C'est de plus en plus urgent : le problème est le modèle économique des transnationales qui, avec le libre commerce, envahissent les marchés en imposant l'entrée de produits subventionnés qui sont en train d'en finir avec la production nationale. Donc, ce que nous devons changer c'est ce modèle, en finir avec le libre commerce, afin d’apercevoir le visage de la souveraineté alimentaire qu'aucun gouvernement nous a présenté.

Nous pensons qu'il n'est pas possible de faire une manifestation ou une grève pour chaque produit, car c'est toute l'agriculture qui est en train d'agoniser et ce sont les traités de « libre commerce » les causes de la crise actuelle. Ainsi, nous proposons une fois de plus, comme nous l'avons réitéré en 2008, de marcher ensemble et de faire une grande « Minga » avec des revendications communes et un agenda commun qui recouvrent tous les mouvements sociaux et populaires, contre le modèle économique du libre commerce ; la terreur et la guerre ; et les lois spoliatrices. Une mobilisation qui nous permette d'exiger au gouvernement nos droits et l'effectivité des accords passés avec les peuples. Une Minga qui nous aide à résister et à tisser ensemble des alternatives de vie et un agenda propre, différente de celui imposée par la Conquête qui, 520 ans après, continue de nous tuer et avec nous notre Terre Mère.

C'est de nouveau notre heure de vérité en tant que peuples.

Tissu de communication de l'Association de Cabildos Indigènes du Nord du Cauca – Colombie.


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