Ce n'est
pas seulement le café, c'est le modèle agricole et économique
Nous avons vu les paysans
occuper les routes du pays, prêts à affronter n'importe quelles
conditions climatiques, à mettre de côté le travail dans leurs
parcelles, à affronter la faim, mais toujours dans l'optique
d'exiger des conditions de travail décentes pour ceux et celles qui
ont permit au pays de croître depuis plus de 80 ans. Nous les avons
vu exposer clairement leurs revendications en 5 points qui démontrent
que la crise n'est pas seulement celle du secteur du café mais celle
de toute l'agriculture, tout en mettant en évidence que le modèle
économique et ses politiques sont la principale cause de cette crise
généralisée dans le pays. Nous avons été témoins du soutien
chaque jour plus fort de la population qui continue de rejoindre la
grève.
Les producteurs de Cacao
se mobilisent aussi. Jours après jours se sont unis au mouvement de
plus en plus de paysans dans d'autres départements. Au quatrième
jour de grève il y a déjà, dans le département du Cauca, quatre
points de blocages routiers. Les camionneurs et le mouvement
indigène ont rejoint la lutte. D'autre part, dans les villes et les
villages, ailleurs que sur les routes, se manifeste la solidarité
avec les grévistes, par des initiatives de soutien aux personnes qui
résistent sur les blocus, grâce à des collectes de vivres et de
produits de toilette.
La grève des producteurs
de café n'a pas seulement généré la solidarité, mais, surtout,
elle a réveillé les consciences dans tout le pays. « Cette
mobilisation explosive et puissante a toutes les caractéristiques de
l'insurrection des villageois et artisans de Socorro en 1789 ;
elle ressemble aux récentes manifestations des indigènes dans le
Cauca qui ont donné lieu à l'expulsion des militaires à Toribio. »
écrit Horacio Duque. Mais face à l'indignation croissante et
généralisée, le gouvernement continue de faire comme s'il ne se
passait rien, comme si la grève n'avait pas de sens, et en écho à
sa position, les médias de masse focalisent l'opinion publique sur
la démission du Pape.
Le gouvernement non
seulement a ignoré les revendications des paysans producteurs de
café mais en plus, il les attaque et les crible de balles. Face à
cette mobilisation pacifique, massive, soutenue par différents
secteurs et totalement cohérente, le gouvernement a donné une
réponse réellement sauvage. L'ESMAD [escadron mobile anti-émeutes,
équivalent des CRS en France] a attaqué de manière brutale les
manifestants, et à Garzon, dans le Huila, a causé la mort d'un
manifestant et laissé des dizaines de blessés. Jour après jour,
les personnes mutilées et les blessés sont de plus en plus nombreux
sur tous les lieux de blocage des routes du pays. Comme si cela ne
suffisait pas, ils ont aussi envahi leurs campements, ont brûlé
leurs vivres, les tentes, les marmites et ont mangé leurs réserves.
La manière de procéder de l'ESMAD est totalement grotesque et
misérable, on dirait que beaucoup oublient qu'ils agissent au nom du
gouvernement.
Le journal de RCN [chaîne
de télévision nationale] du vendredi midi, montre des informations
internationales concernant l'abus des autorités policières en
Afrique, qui ont frappé et traîné sur le sol une personne, jusqu'à
causer sa mort. L'information est présentée de manière isolée,
comme du jamais vu auparavant, comme si dans ce pays ça n'existait
pas, comme si ici, l'ESMAD n'existait pas. L'ESMAD, créé en 1999 en
Colombie, est une entité de « contrôle » qui existait
déjà dans d'autres pays pour réprimer le droit à la
manifestation. Comme au Pérou, en Argentine ou au Chili, entre
autres, dans ces pays où, comme en Colombie, prédomine un modèle
économique de spoliation qui s'impose par les politiques
gouvernementales.
Aux dernière nouvelles,
autour des points de blocage des producteurs de café dans le Cauca,
la présence des forces de l'ESMAD a considérablement augmenté.
Mais cela n'effraie pas les manifestants qui au contraire viennent de
plus en plus nombreux. De plus, les consciences se sont réveillées
dans d'autres secteurs. En témoigne à Bogotá et dans d'autres
villes du pays la manifestation contre le système de santé actuel.
Des fonctionnaires de santé, des médecins, infirmiers, étudiants
et patients se sont mobilisés contre ce système qui ne soigne pas,
mais tue.
Un système nuisible,
depuis l'attention déshumanisée dans les centres des Entreprises
Prestataires de Santé (EPS), l'attente pour les consultations, le
manque de temps pour établir un diagnostique sérieux, jusqu'au
refus d'accès au Plan Obligatoire de Santé (POS) [permet l'accès
général à la santé]. Mais aussi l'impossibilité de réaliser
les traitements nécessaires puisque de nombreux patients se voient
obligés de couvrir par leurs propres moyens les frais des
traitements qu'ils devraient recevoir de la part des EPS. Des
médecins obligés de prescrire certains médicaments au lieu de ceux
qui seraient nécessaires. Des patients dont les maladies s'aggravent
du fait de ne pas avoir été reçus à temps, qui meurent en faisant
la queue pour demander un RDV, qui meurent car les traitements dont
ils avaient besoin n'étaient pas couverts pas le POS.
Les patients n'ont pas à
mendier leurs droits, les médecins et fonctionnaires de santé n'ont
pas à faire passer les règles du commerce des EPS au dessus des
critères médicaux et éthiques. Les gens sont descendus dans la rue
pour dénoncer les abus concernant leurs droits fondamentaux de la
part d'un système qui a séquestré la santé et l'a convertit en
commerce.
D'autre part, les paysans
de Cajamarca n'ont pas baissé la garde face aux attaques de la
compagnie minière Anglo Gold Ashanti et de ceux qui prétendent
discréditer leur lutte légitime pour faire cesser l'exploitation
minière sur leur territoire. Le gouvernement approuve ouvertement la
venue d'une entreprise minière dont la mauvaise réputation est
connue dans le monde entier, du fait des constantes violations des
Droits de l'Homme qu'elle commet, et ose poursuivre et accuser de
guérilleros les paysans qui protègent la plus grande partie des
réserves alimentaires du pays.
Aujourd'hui, 2 mars 2013,
le président de la République et le président de la fédération
nationale des producteurs de café annoncent à travers les médias
de communication officiels la fin de la grève, après être
supposément arrivés à des accords qui permettront l'augmentation
des subventions du café de 60 000 pesos à 115 000 pesos colombiens
[soit de 25, 5 euros à 48, 8 euros pour une charge de 125 kilos,
pour les exploitations de moins de 20 hectares ; et 95 000 pesos
(38 euros) pour 125 kilos pour les exploitations de plus de 20
hectares, le prix de vente de la charge devant être inférieur à
650 000 pesos, soit environ 276 euros]. Sans aucun doute, il s'agit
là d'une stratégie de plus pour manipuler les producteurs de café
et tromper l'opinion publique étant donné que l'augmentation des
subventions bénéficiera seulement aux marchands de café, et que
cette mesure est bien trop insuffisante face à l'ampleur du
problème. Les producteurs de café ont de leur côté bien précisé
que tout accord sera conditionné par l'inclusion des cinq points
qu'ils revendiquent : 1) Prix rémunérateur du café ; 2)
Non à l'industrie minière dans les zones de production de café ;
3) contrôle des prix des fertilisants et des engrais ; 4)
solutions concernant les dettes et les saisies par les banques 5) Non
à l'importation du café.
De plus, peu après les
déclarations du gouvernement, les leaders de la grève ont démenti
ces affirmations en rappelant que lors de cette réunion les vrais
représentants n'étaient pas présents, tout en confirmant que les
blocus continueront jusqu'à ce que soient signés les accords de la
table de concertation.
Toutes ces mobilisations
ne sont pas le produit d'une coïncidence, et sont loin d'être
isolées. Tous et toutes nous nous reconnaissons et nous nous sentons
représentés par ces secteurs qui se mobilisent pour différentes
causes ayant la même origine : l'ouverture au libre commerce,
les Traités de Libre Commerce (TLC), tout ce à quoi nous nous
sommes tant opposés mais qu'ils ont quand même approuvé. Un modèle
économique qui ne voit pas dans les richesses naturelles et la
diversité culturelle la possibilité d'un peuple souverain mais des
ressources et des ouvriers de dernière classe pour les entreprises
étrangères. Un modèle qui, durant les dix dernières années de
gouvernement, est devenu de plus en plus agressif, cherchant à
renforcer l'appareil militaire, laissant de côté l'agriculture pour
mieux la livrer aux entreprises d'extraction minière, selon la ligne
politique centrée sur l'économie minière défendue par Santos.
Cette grève n'est pas seulement des producteurs de café, c'est
celle de tout le secteur agricole, qui remet en question le projet
politique de Santos qui vise à soumettre tout un pays à vocation
agricole à une économie minière.
Tissu de Communication de
l'Association de Cabildos Indigènes du Nord du Cauca – ACIN
Colombie – 2 mars 2013
http://www.nasaacin.org/nuestra-palabra-kueta-susuza/5404-no-es-solo-el-cafe-es-el-agro-y-el-modelo-economico
Quelques
éléments additionnels de compréhension :
« Nous pensons que
ce qui précipite ce phénomène sans précédent est le fait que
dans les zones de production de café prédominent la faim, le
chômage, la désespérance et l'énervement, ayant pour cause
différents facteurs : la baisse simultanée, d'environ 40 %
dans chaque cas, du volume des récoltes et du prix interne d'achat,
qui imposent de produire à perte. »
« Pour compléter
l'absurde, a été nommé [par le gouvernement] comme responsable de
sortie de la crise générale du secteur quelqu'un si fanatique du
dogme néolibéral qu'il a été capable de dire que « dans
tous les pays qui réussissent la monnaie est réévaluée »,
alors même que la réévaluation engendre une baisse de 40 % du
prix de vente du café en dollars, pour les producteurs, et détruit
la totalité de l'industrie et de l'agriculture nationale. Des fous.
Mais dangereux car ils sont au pouvoir. »
Extraits de « Pour comprendre
la grève des producteurs de café et de cacao »
Par Jorge
Enrique Robledo, Bogotá,1 mars
2013.
« Ainsi, ce qui
était impensable avant est en train d'arriver, comme cela s'est
produit avec des produits comme le riz, le blé ou le maïs depuis le
début du « libre » commerce : nous sommes sur le
point de passer d'un pays auto-suffisant en café à un pays
importateur, du moins durant ces jours de crise. L'an dernier ont
déjà été importés 900 000 sacs de café pour approvisionner le
marché interne, et le pays a perdu 4 millions de sacs ces quatre
dernières années, la production passant de 11 millions de sacs de
café vert en 2008 à 7 millions en 2012. Cela signifie que les
producteurs de café – petits, moyens et grands, car la magnitude
de la crise est telle qu'elle affecte tout le monde – ont perdu
quantité de revenus, de tout le café qu'ils ont arrêté de
produire. Et ce qu'ils ont réussi à produire a été produit à
perte. Comme l'explique un producteur de Belén de Umbría, les
coûts de production par « arrobe » (12,5 kilos) varient
entre 60 000 et 70 000 pesos colombiens (entre 25,5 et 30 euros),
mais on leur achète entre 40 000 et 50 000 pesos colombiens (entre
17 et 21 euros), selon la qualité du grain. »
« Il est nécessaire
de rappeler que la crise du café n'affecte pas seulement les 550 000
familles qui vivent de ce produit et qui génèrent le tiers de
l'emploi rural national, mais aussi à la majorité de la population
des zones de production de café. Comme le disait un producteur de
Supía, Caldas : ''si nous nous n'avons pas de revenus, qui va
payer les conducteurs des jeep, ou acheter des produits à la
boulangerie, à l'épicerie ?'' »
Extraits de : « Le
pourquoi de la grève civique nationale des producteurs de café »
Par : Laura
Gutiérrez Escobar Bogotá, 22 février 2013
moir.org.co/El-por-que-del-paro-civico.html
Traduction et
commentaires : Camille Apostolo – Tejido de Comunicación ACIN
6 mars 2013
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