mercredi 6 mars 2013

Grève nationale des producteurs de café en Colombie


Ce n'est pas seulement le café, c'est le modèle agricole et économique

Nous avons vu les paysans occuper les routes du pays, prêts à affronter n'importe quelles conditions climatiques, à mettre de côté le travail dans leurs parcelles, à affronter la faim, mais toujours dans l'optique d'exiger des conditions de travail décentes pour ceux et celles qui ont permit au pays de croître depuis plus de 80 ans. Nous les avons vu exposer clairement leurs revendications en 5 points qui démontrent que la crise n'est pas seulement celle du secteur du café mais celle de toute l'agriculture, tout en mettant en évidence que le modèle économique et ses politiques sont la principale cause de cette crise généralisée dans le pays. Nous avons été témoins du soutien chaque jour plus fort de la population qui continue de rejoindre la grève.

Les producteurs de Cacao se mobilisent aussi. Jours après jours se sont unis au mouvement de plus en plus de paysans dans d'autres départements. Au quatrième jour de grève il y a déjà, dans le département du Cauca, quatre points de blocages routiers. Les camionneurs et le mouvement indigène ont rejoint la lutte. D'autre part, dans les villes et les villages, ailleurs que sur les routes, se manifeste la solidarité avec les grévistes, par des initiatives de soutien aux personnes qui résistent sur les blocus, grâce à des collectes de vivres et de produits de toilette. 


La grève des producteurs de café n'a pas seulement généré la solidarité, mais, surtout, elle a réveillé les consciences dans tout le pays. « Cette mobilisation explosive et puissante a toutes les caractéristiques de l'insurrection des villageois et artisans de Socorro en 1789 ; elle ressemble aux récentes manifestations des indigènes dans le Cauca qui ont donné lieu à l'expulsion des militaires à Toribio. » écrit Horacio Duque. Mais face à l'indignation croissante et généralisée, le gouvernement continue de faire comme s'il ne se passait rien, comme si la grève n'avait pas de sens, et en écho à sa position, les médias de masse focalisent l'opinion publique sur la démission du Pape.

Le gouvernement non seulement a ignoré les revendications des paysans producteurs de café mais en plus, il les attaque et les crible de balles. Face à cette mobilisation pacifique, massive, soutenue par différents secteurs et totalement cohérente, le gouvernement a donné une réponse réellement sauvage. L'ESMAD [escadron mobile anti-émeutes, équivalent des CRS en France] a attaqué de manière brutale les manifestants, et à Garzon, dans le Huila, a causé la mort d'un manifestant et laissé des dizaines de blessés. Jour après jour, les personnes mutilées et les blessés sont de plus en plus nombreux sur tous les lieux de blocage des routes du pays. Comme si cela ne suffisait pas, ils ont aussi envahi leurs campements, ont brûlé leurs vivres, les tentes, les marmites et ont mangé leurs réserves. La manière de procéder de l'ESMAD est totalement grotesque et misérable, on dirait que beaucoup oublient qu'ils agissent au nom du gouvernement.

Le journal de RCN [chaîne de télévision nationale] du vendredi midi, montre des informations internationales concernant l'abus des autorités policières en Afrique, qui ont frappé et traîné sur le sol une personne, jusqu'à causer sa mort. L'information est présentée de manière isolée, comme du jamais vu auparavant, comme si dans ce pays ça n'existait pas, comme si ici, l'ESMAD n'existait pas. L'ESMAD, créé en 1999 en Colombie, est une entité de « contrôle » qui existait déjà dans d'autres pays pour réprimer le droit à la manifestation. Comme au Pérou, en Argentine ou au Chili, entre autres, dans ces pays où, comme en Colombie, prédomine un modèle économique de spoliation qui s'impose par les politiques gouvernementales.

Aux dernière nouvelles, autour des points de blocage des producteurs de café dans le Cauca, la présence des forces de l'ESMAD a considérablement augmenté. Mais cela n'effraie pas les manifestants qui au contraire viennent de plus en plus nombreux. De plus, les consciences se sont réveillées dans d'autres secteurs. En témoigne à Bogotá et dans d'autres villes du pays la manifestation contre le système de santé actuel. Des fonctionnaires de santé, des médecins, infirmiers, étudiants et patients se sont mobilisés contre ce système qui ne soigne pas, mais tue.

Un système nuisible, depuis l'attention déshumanisée dans les centres des Entreprises Prestataires de Santé (EPS), l'attente pour les consultations, le manque de temps pour établir un diagnostique sérieux, jusqu'au refus d'accès au Plan Obligatoire de Santé (POS) [permet l'accès général à la santé]. Mais aussi l'impossibilité de réaliser les traitements nécessaires puisque de nombreux patients se voient obligés de couvrir par leurs propres moyens les frais des traitements qu'ils devraient recevoir de la part des EPS. Des médecins obligés de prescrire certains médicaments au lieu de ceux qui seraient nécessaires. Des patients dont les maladies s'aggravent du fait de ne pas avoir été reçus à temps, qui meurent en faisant la queue pour demander un RDV, qui meurent car les traitements dont ils avaient besoin n'étaient pas couverts pas le POS.

Les patients n'ont pas à mendier leurs droits, les médecins et fonctionnaires de santé n'ont pas à faire passer les règles du commerce des EPS au dessus des critères médicaux et éthiques. Les gens sont descendus dans la rue pour dénoncer les abus concernant leurs droits fondamentaux de la part d'un système qui a séquestré la santé et l'a convertit en commerce.

D'autre part, les paysans de Cajamarca n'ont pas baissé la garde face aux attaques de la compagnie minière Anglo Gold Ashanti et de ceux qui prétendent discréditer leur lutte légitime pour faire cesser l'exploitation minière sur leur territoire. Le gouvernement approuve ouvertement la venue d'une entreprise minière dont la mauvaise réputation est connue dans le monde entier, du fait des constantes violations des Droits de l'Homme qu'elle commet, et ose poursuivre et accuser de guérilleros les paysans qui protègent la plus grande partie des réserves alimentaires du pays.

Aujourd'hui, 2 mars 2013, le président de la République et le président de la fédération nationale des producteurs de café annoncent à travers les médias de communication officiels la fin de la grève, après être supposément arrivés à des accords qui permettront l'augmentation des subventions du café de 60 000 pesos à 115 000 pesos colombiens [soit de 25, 5 euros à 48, 8 euros pour une charge de 125 kilos, pour les exploitations de moins de 20 hectares ; et 95 000 pesos (38 euros) pour 125 kilos pour les exploitations de plus de 20 hectares, le prix de vente de la charge devant être inférieur à 650 000 pesos, soit environ 276 euros]. Sans aucun doute, il s'agit là d'une stratégie de plus pour manipuler les producteurs de café et tromper l'opinion publique étant donné que l'augmentation des subventions bénéficiera seulement aux marchands de café, et que cette mesure est bien trop insuffisante face à l'ampleur du problème. Les producteurs de café ont de leur côté bien précisé que tout accord sera conditionné par l'inclusion des cinq points qu'ils revendiquent : 1) Prix rémunérateur du café ; 2) Non à l'industrie minière dans les zones de production de café ; 3) contrôle des prix des fertilisants et des engrais ; 4) solutions concernant les dettes et les saisies par les banques 5) Non à l'importation du café.

De plus, peu après les déclarations du gouvernement, les leaders de la grève ont démenti ces affirmations en rappelant que lors de cette réunion les vrais représentants n'étaient pas présents, tout en confirmant que les blocus continueront jusqu'à ce que soient signés les accords de la table de concertation.

Toutes ces mobilisations ne sont pas le produit d'une coïncidence, et sont loin d'être isolées. Tous et toutes nous nous reconnaissons et nous nous sentons représentés par ces secteurs qui se mobilisent pour différentes causes ayant la même origine : l'ouverture au libre commerce, les Traités de Libre Commerce (TLC), tout ce à quoi nous nous sommes tant opposés mais qu'ils ont quand même approuvé. Un modèle économique qui ne voit pas dans les richesses naturelles et la diversité culturelle la possibilité d'un peuple souverain mais des ressources et des ouvriers de dernière classe pour les entreprises étrangères. Un modèle qui, durant les dix dernières années de gouvernement, est devenu de plus en plus agressif, cherchant à renforcer l'appareil militaire, laissant de côté l'agriculture pour mieux la livrer aux entreprises d'extraction minière, selon la ligne politique centrée sur l'économie minière défendue par Santos. Cette grève n'est pas seulement des producteurs de café, c'est celle de tout le secteur agricole, qui remet en question le projet politique de Santos qui vise à soumettre tout un pays à vocation agricole à une économie minière.

Tissu de Communication de l'Association de Cabildos Indigènes du Nord du Cauca – ACIN
Colombie – 2 mars 2013
http://www.nasaacin.org/nuestra-palabra-kueta-susuza/5404-no-es-solo-el-cafe-es-el-agro-y-el-modelo-economico


Quelques éléments additionnels de compréhension :


« Nous pensons que ce qui précipite ce phénomène sans précédent est le fait que dans les zones de production de café prédominent la faim, le chômage, la désespérance et l'énervement, ayant pour cause différents facteurs : la baisse simultanée, d'environ 40 % dans chaque cas, du volume des récoltes et du prix interne d'achat, qui imposent de produire à perte. »

« Pour compléter l'absurde, a été nommé [par le gouvernement] comme responsable de sortie de la crise générale du secteur quelqu'un si fanatique du dogme néolibéral qu'il a été capable de dire que « dans tous les pays qui réussissent la monnaie est réévaluée », alors même que la réévaluation engendre une baisse de 40 % du prix de vente du café en dollars, pour les producteurs, et détruit la totalité de l'industrie et de l'agriculture nationale. Des fous. Mais dangereux car ils sont au pouvoir. »

Extraits de « Pour comprendre la grève des producteurs de café et de cacao »
Par Jorge Enrique Robledo, Bogotá,1 mars 2013.



« Ainsi, ce qui était impensable avant est en train d'arriver, comme cela s'est produit avec des produits comme le riz, le blé ou le maïs depuis le début du « libre » commerce : nous sommes sur le point de passer d'un pays auto-suffisant en café à un pays importateur, du moins durant ces jours de crise. L'an dernier ont déjà été importés 900 000 sacs de café pour approvisionner le marché interne, et le pays a perdu 4 millions de sacs ces quatre dernières années, la production passant de 11 millions de sacs de café vert en 2008 à 7 millions en 2012. Cela signifie que les producteurs de café – petits, moyens et grands, car la magnitude de la crise est telle qu'elle affecte tout le monde – ont perdu quantité de revenus, de tout le café qu'ils ont arrêté de produire. Et ce qu'ils ont réussi à produire a été produit à perte. Comme l'explique un producteur de Belén de Umbría, les coûts de production par « arrobe » (12,5 kilos) varient entre 60 000 et 70 000 pesos colombiens (entre 25,5 et 30 euros), mais on leur achète entre 40 000 et 50 000 pesos colombiens (entre 17 et 21 euros), selon la qualité du grain. »

« Il est nécessaire de rappeler que la crise du café n'affecte pas seulement les 550 000 familles qui vivent de ce produit et qui génèrent le tiers de l'emploi rural national, mais aussi à la majorité de la population des zones de production de café. Comme le disait un producteur de Supía, Caldas : ''si nous nous n'avons pas de revenus, qui va payer les conducteurs des jeep, ou acheter des produits à la boulangerie, à l'épicerie ?'' »

Extraits de : « Le pourquoi de la grève civique nationale des producteurs de café »
Par : Laura Gutiérrez Escobar Bogotá, 22 février 2013
moir.org.co/El-por-que-del-paro-civico.html



Traduction et commentaires : Camille Apostolo – Tejido de Comunicación ACIN
6 mars 2013

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